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Le Gois (Noirmoutier)

Le Gois de Noirmoutier dans la littérature

 

GOIS

 

Balises dans le soir tombant

A l'infini du paysage

Et l'Ile au loin que le passage

Relie au sombre continent

Par le flot vaste qui s'engouffre

Dans le goulet étroit et fort

De contenir entre ses bords

Si folle eau vive, - comme alors

S'engouffre encor l'âme qui souffre

Entre les rives de la mort !

 

                               Maurice Courant

 

 

 

"Maléfices"

 

    Mais qui n'a pas vu le Gois ne peut suivre ce récit. Et je doute que vous soyez venu vous perdre en ce coin de Vendée, qui est désolé l'hiver, et l'été, sans grâce. L'île de Noirmoutier se rattache au continent par une chaussée, longue de quatre kilomètres, que la mer recouvre à chaque marée. Mais cette chaussée ne ressemble à aucune autre. Elle serpente, comme une piste, à travers les sables, route en certains endroits et mauvais chemin, toujours mouillé, en certains autres. On l'appelle: le Gois. Des piquets, de distance en distance, la jalonnent et marquent son tracé, quand elle est submergée. Elle n'est praticable que pendant un peu plus de trois heures à marée basse. Dès que le vent de suroît pousse le flot dans le goulet de Fromentine, il faut se méfier: la mer revient très vite et, comme les voitures ne peuvent rouler qu'au pas, le voyageur imprudent risque d'être surpris au milieu du gué. il n'a plus qu'une ressource: abandonner sa voiture et courir vers le refuge le plus proche. Il y a trois refuges. Ce sont des balises à cages, sortes de paltes-formes, ceinturées d'un garde-fou, qui s'élèvent à plus de six mètres; elles sont plantées, comme des gibets, dans des socles côniques. A marée haute, il y a plus de trois mètres d'eau sur le Gois. Et ce que je n'avais pas dit à Vial, c'est que le Gois m'inspirait une sorte de frayeur.

 

Boileau-Narcejac: Maléfices (1961)

 

 

"Mais il y a le Gois!"

 

- Puisque vous êtes-là, dit-elle.

- Oui, mais il y a le Gois!

   Nous nous serrâmes la main et je démarrai. Le Gois! Je n'avais garde de l'oublier et je roulai le plus vites possible, comptant déjà les minutes. Si j'étais obligé de rester dans l'île, tous mes clients téléphoneraient à la amison (car depuis une quinzaine, nous l'avions enfin, ce téléphone!) Eliane s'affolerait. A mesure que je m'éloignais de Myriam, je rentrais en quelque sorte dans mon personnage. Je ne vais pas jusqu'à dire que je me jugeais. Mais j'avais l'habitude de me traiter sans ménagement. Comme le font, je crois, tous les timides. Je n'avais rien à me reprocher, certes. Du moins, pas encore. Cependant, je ne pouvais nier l'attirance que cette femme venait d'exercer sur moi. A cause d'elle, un autre homme, un étranger, s'était révélé à moi. Un étranger que je n'aimais pas. Je regardai le portrait de Myriam, couché à plat, sur le siège. Qu'est-ce que j'allais faire de cette toile? Myriam chez moi. Non. Cela me semblait impossible.

   J'arrivais au Gois. Un coup d'oeil à ma montre. La mer remontait, mais il n'y avait pas de vent. Je disposais encore d'un bon quart d'heure. Je m'engageai sur la chaussée. J'étais extraordinairement heureux de rentrer chez moi. Là-bas, c'était ma côte et ma maison. Je voyais, comme suspendus au fond de l'espace nacré, les taches pâles fermes et les points sombres des bêtes dans les pâtures. Alors, à mi-course, tout seul sur cette mince langue de terre que la mer commençait à battre des deux côtés, je m'arrêtai, je descendis. Le silence sembla fondre sur moi. Le silence des grands espaces, gonflé de souffles. Je saisis le tableau. Je m'approchai des premières vagues plates qui glissaient une à une sur le sable, sans bruit, et, de toutes mes forces, je le lançai au loin. Il fila comme un palet, tomba sur la tranche, s'enfonça, rebondit et flotta, insolite, déjà perdu. Je me sentais dans mon droit et ma vérité, et repartis sans tourner la tête. L'eau affleurait la route quand j'abordai le plan incliné menant au rivage, mais je n'avais pas peur. Au contraire, je trouvai bon que la mer se refermât derrière moi, effaçât mes traces. Je n'étais pas allé au Bois de la Chaize. Je n'y retournerais pas. J'étais sans doute ridicule et en train de m'embrouiller dans de puériles contradictions, mais je m'en amusais plutôt. J'avais conscience d'être limpide, à nouveau, ou, si le mot prête à sourire, étale, comme ces étangs du marais qui reflètent le vide.

 

                                 Boileau-Narcejac: Maléfices (1961)

    

 

 

Gilbert Dupé

 

 Ouest-France Septembre 2009

Jean Dréville sur la ferme du pendu



17/10/2010
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