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Courant (Maurice) - Un bestiaire?



Un bestiaire de Maurice Courant?

   


       J'ai pris le risque de proposer ce florilège de textes. Maurice Courant n'a en effet composé aucun bestiaire. Cependant ses poèmes consacrés aux animaux sont d'une telle cohérence que j'ai toujours souhaité les voir rassemblés.  Le livre magistral d'Elisabeth de Fontenay, Le silence des bêtes (Fayard 1998),  m'a paru confirmer leur importance. Elle montre que les poètes et écrivains de tradition chrétienne ont été rares à prendre en compte et en charge l'image et surtout le sort de l'animal. L'Agneau, réduit à l'état de symbole christique, se voit expulsé de la sphère théologique en tant qu'être vivant voué comme l'homme à la souffrance et à la mort. Seuls, Léon Bloy et Paul Claudel, au-delà de la tradition franciscaine, ont voulu lui rendre justice. "Dans le récit  de l'Exode, il y a un mot bien remarquable. L'écrivain sacré ne dit pas cuncta animalia, mais cuncta animantia(...) On devrait donc traduire, non pas "tous les animaux, mais "tous les animants"... . Les animaux seraient ainsi, selon Claudel, des serviteurs de l'âme et à ce titre-là, l'indifférence ou la cruauté vis-à-vis de l'animal constitueraient une perte d'humanité.
    Chez Maurice Courant, les animaux, le plus souvent morts ou voués à une disparition proche, sont également silencieux, mais leurs regards lancent aux humains des cris affolants dont je me garderai de traduire la signification. Il revenait au poète de les faire entendre et d'amener ainsi ses lecteurs à faire, à travers la réciprocité des regards (Etrille)"l'expérience solitaire et secrète de la parenté des douleurs".



                                    CAUCHEMAR

Qui donc à l'amazone a dit: "Caracoler!"
Qui donc a prétendu qu'il fallait atteler
Sur les prés jaunissant de flaques électriques
L'alezane dressée aux danses excentriques

Et qu'un essaim de mouches noires poursuivaient
- Le ventre ouvert et les narines qui bavaient
Un petit lait fluide adoré des moustiques,-
Au beau cabriolet des rondes fantastiques

Pour une promenade à travers le Hasard?...
Je ne sais plus: on s'est embarqué quelque part
Dans une course folle, on a lâché les brides...

Contre un arbre pourpré, je contemple à l'écart,
En place de cheval, insondable, stupide,
Une présence humaine entre les deux brancards!




COCCINELLE,

Orange et noire, sur ma main
Ta flamme vive, sans savoir
Par quel mystérieux pouvoir
Le ciel déjà d'un pur miroir
Te piègera d'Amour demain!




COQUILLAGE,

A jamais insensible et que la mer apporte
A mes pieds sur la plage immense des vivants,
Toi dont l'espace calme en ses mouvements lents
S'inscrivait dans le jeu de l'onde la plus forte,
De ton être il ne reste, après la saison morte,
Qu'un peu d'algue et de sable humide entre tes dents !



CORRIDA

Au bout du sang qu'il a perdu,
Le Taureau, désormais rendu,
Tourne vers l'Homme périssable
Sa tête lourde sur le sable,
Et dans les yeux du matador
Plonge le glaive de sa Mort!
               
             




ÉTRILLE

Sur ma table, à l'affût de mon regard vivant,
Ton regard mort, corail inquiétant et sombre,
Vers ma face mortelle, interrogeant mon ombre,
Pour y scruter des jours de mon destin quel nombre
- Au gré de mêmes flots sans cesse dérivant
 -Lui reste encor sur terre à vivre, - le suivant...



         
GOÉLAND MORT

Berce-moi, forme, berce-moi !...
Pris en les rêts de la marée
Du plus terrible songe froid
Qui te laisse désemparée,
Vois ma pauvre âme en désarroi
Se perdre toute l'égarée
Par l'insondable gouffre étroit
De ta gloire d'ombre parée,
-Sur un lit d'algue morte, en toi !



GRISON

Le petit âne a des yeux tristes
Qui me regardent fixement,
Comme pour suivre en moi les pistes
-Le petit âne a les yeux tristes-
Où s'est perdu mon firmament !




HÉRISSON MORT…

A jamais, sur la route en ce pays qui monte
Vers un ciel bleu de lait bordé de vert et d'or,
Pelotonné comme en un geste fou de honte ,
Le petit animal, au soleil tendre, dort !



LA CHASSE

C'est la chasse et déjà se terrent les gibiers ;
La peur vient de partout prendre aux tripes les bêtes :
Lièvres, pigeons, faisans, chevreuils et sangliers ; -
Comme vous tous : bourgeois, manants de quelles fêtes !
Poursuivis on ne sait au fond de quels halliers,
Par l'autan harcelés de toutes ses tempêtes,
Sans qu'il soit contre lui pour vous de boucliers, -
N'êtes-vous, tant le sort se paye de vos têtes,
A la mort, vous aussi, plus que jamais liés ?




LE CHEVAL BOIT… 

Le cheval boit dans l'onde claire
Le reflet bleu d'un ciel vivant
Dont le soleil se désaltère
Et que ride, en ton cœur, le vent !…




L'INNOCENCE ou LA BÊTE

Tu regardes la bête, ô toi qu'elle regarde
De son regard tranquille, à tout l'espace ouvert ;
-Il n'est pas de soleil en toi qui se hasarde,
Qui puisse la surprendre en sa nocturne chair ;
Rien n'excite sa fièvre d'âme ou la retarde;
Mais le mal qui pénètre en toi comme une écharde,
La laisse indifférente à ce mirage clair
D'une réalité d'un jour, dont l'oeil se farde, -
Tandis que ton silence emplit de mort la mer !




PAPILLON MORT...

Papillon mort en plein soleil:   
Tes ailes battent dans le vent  
Comme si tu étais vivant; -   
Ah! vers quel songe sans pareil   
Te mène ton dernier sommeil,   
Ou vers quel pur Soleil levant?




PAPILLON FOU...      

Papillon fou de vague errance,  
Comme les fleurs de Saadi,   
L'illusion qui te perdit,  
Est celle-même, en plein midi,   
Qui mit mon âme folle en transe!



PAPILLON

Vers l'Automne... Et voici que ta grâce dernière
Se penche sur le pré rayonnant à son tour;
Puis paré d'une absence étrange de lumière;
Tes ailes, déployant leurs feux pétris d'amour,
S'impriment dans les yeux qui les regardent faire
Dans le suprême soir où l'été va se taire
Ta valse qui finit avec le jour...

Le Chêne-Rond, automne 1958
(Revue du Bas-Poitou, Mars-Avril 1965)




PHALÈNE

Triste à jamais de ne plus voir
Ton silence dans l'or s'étendre !...
S'est trouvé pris qui croyait prendre
Ta belle flamme en son pouvoir, -
Tant que voilà ta chaude cendre
Si transparente dans le soir
Et ta chère âme au fol vouloir,
Toutes, - d'un art de les pourfendre
On ne sait né de quel savoir
Pour mieux s'instruire d'un coeur tendre, -
Morte, - ainsi qu'un astre noir !




ROUGE-GORGE

Rouge-gorge, plus rien ne bouge
De ton paisible corps roidi :Le ciel lui-même est refroidi,-
Comme, en la mort qu'avait prédit
Le rude hiver, ta gorge rouge !





SAUTERELLE

Tout le froid dans tes membres longs
Et tes regards d'astres éteints...
Ainsi déjà, sous les rayons
De cet Automne que je plains
De voir mourir les sauterelles,
La transparence de tes ailes
Et de tes clairs fuseaux menus -
En leur silence devenus,
Avec la fin des saisons belles,
Comme ce feu des immortelles
Que le temps ne reverra plus...



SCARABÉE

Scarabée ivre au grand œil blanc
Et qu'un vent triste découronne,
Tu vas mourir : le ciel qui ment
T'a pris au piège de l'Automne ;
Et dans le soir qui t'abandonne
A ton mystérieux tourment,
Ton ultime regard m'étonne,
Quand tout l'espace d'or frissonne,
De le voir ne plus voir personne
Et s'emplir d'ombre brusquement !



VANNEAU

RENARD

 

Au piège pris par la dent dure

Du bel acier plus fort que toi,

Je te regarde, - et ta morsure

Intérieure et sans souillure

M'arrache comme une blessure

Qui me glace l'âme d'effroi!


 





VAUTOUR

            A ceux-là que je sais.

            

Tremblez de ce qui vient vers vous comme une lame

Dont rien n'arrêtera la force et la clameur,

D'un Destin qui déjà dévaste la pauvre âme

De votre forme d'être où flotte la Douleur! -

Car rien ne sera plus en vous que face blême

Et que béance immense offerte au seul malheur,

Quand, pire que la Mort et toute sa douceur,

Par l'Orage promis aux fous qui le vent sèment,

Le Vautour brusquement vous rongera le coeur!




 

Comme le cerf qui s'en vient boire

L'eau de la source au coeur du pré,

L'âme se plonge en la mémoire

De son inaltérable histoire, -

Jusques aux rives du sacré!










MOUETTES,

 

- Vos cris, en la lumière ardente de l'Automne,

En mon âme infinie infiniement résonnent

Et me disent qu'il n'est rien d'autre si profond

Qu le bruit que vos cris dans l'air vivace font!





MEUGLEMENT

 

Le meuglement des bêtes folles de douleur,

Quand le soir, d'un parfum de mort, les environne,

Il m'étonne qu'en toi ce meuglement t'étonne; -

Car l'angoisse t'enserre et le tonnerre tonne

Jusqu'au fond d'une chair où le désir résonne

D'un tourment qui pénètre en toi comme en personne;-

Et ne meugles-tu pas en l'ombre aussi, mon Coeur?...




LE FLAMANT ROSE

 

Je suis le joli flamant rose:

Sur mes larges pattes palmées,

Je vais, je viens, je me repose ;

Et suis le roi de toute chose,

Quand le soleil met une rose

Dans le miroir des eaux calmées.




INSECTE VERT

 

Souffle sur toi la mort vivante,

Insecte vert parmi les prés ;

La mort vivante, ton Amante,

Avec tes ailerons dorés ; -

Insecte vert parmi la menthe,

Où les feuillages mordorés

Font pleuvoir cette mort savante

En laquelle, de flamme ardente

Et pour tout l'avenir, s'invente,

A mesure que le ciel chante,

Ton rêve d'or, parmi les prés !




LA CAVALE...
 
La cavale insensible
Au vent des étalons
Met la mort terrible
A ses talons



LE CORBEAU BLANC
 
D'un noir inconcevable pire,
Coupe l'espace, le corbeau ;
Un corbeau noir comme un tombeau
De corps beau blanc , - si l'on peut dire !






Crapaud
 
Crapaud, mon Ami,
T'en viens-tu, Crapaud,
Chercher le plus beau
Des hommes ici, (- )
Pour pouvoir ainsi
Trouver le repos?
 



 
VANNEAU
 
Ne va pas chasser le vanneau;
Tellement cette bête est belle;
Cette bête, - plus qu'un oiseau, -
Avec le bleu-noir de son aile
Et son ventre blanc comme en Celle
Dont se mire au Soleil la peau!
 




Textes:

Poèmes dits par l'auteur
Ô mon amour
Amour de mon amour



22/08/2007
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