Prosper Ploquin: Carnet de guerre 1
Prosper Ploquin
Notes de Campagne
Carnet N°1
Campagne 1914
Août, Septembre
Campagne du Génie 10/2
P. P., sapeur
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Liens vers mes deux nouveaux sites
et
Isabelle Rimbaud, jeune soeur d'Arthur Rimbaud, pour son journal de guerre
"Dans les remous de la guerre" (1916)
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Août 1914
Arrivé le lundi 3 à Angers. Habillé le 4. J'ai vu Louis plusieurs fois et nous avons passé de bonnes heures ensemble. Nous nous sommes faits nos adieux le 4 au soir, tristes mais résignés. Il est parti le 5 au matin.
5 Août 14
Ai communié à St-Laud avec une douzaine de camarades et le lieutenant S. De garde ce jour-là. Passé la nuit avec Del sous la statue de Mgr Freppel. (Université)
6 Août 14
Tous les hommes sont plutôt un peu gais. On finit de nous équiper. départ demain. Messe à 6 heures dans la chapelle de l'Université.
7 Août 14
Derniers préparatifs - 120 cartouches chacun; aurons, paraît-il 36 heures de route.
Ai communié ce matin à la chapelle, le st (sergent) Chapdelaine, Chiron etc. étaient là. Rencontré le beau-frère de Mme Devallet. Prendrons paraît-il le train à la Maître Ecole, pour la belgique sans doute.
9 Août 14, 0h 30 matin.
Nous venons d'arriver à Attigny dans les Ardennes. Sommes partis avant hier vers 7 heures 1/2 du soir, avons passé au Mans, Evreux, Mantes, Compiègne, Soissons, Laon, Reims. Partout de l'enthousiasme et des ovations. A Soissons les dames de la Croix-Rouge nous offrent du café. Le 5ème génie est à Laon. de Laon, j'ai envoyé plusieurs cartes.
Nous formerons sans doute demain le 10ème Corps. Que la Sainte Vierge nous protège.
11 Août 14
En quittant Attigny, gare de notre (débarquement), nous faisons 17 km, en pleine nuit, et arrivons à Chesne. Nous en repartons le lendemain vers minuit et après une marche de 31 km (que je fais avec le sac complet comme d'habitude), nous arrivons à sedan. Là, mon intention était bien de mettre mon sac à la voiture après la halte, en repartant pour Floing. Mais Agimbart, pour des raisons pleines de foi, me décide à faire mon possible pour aller jusqu'au bout: comme Jésus portant sa croix, je porte le mien, me dit-il. Jablin lui est matérialiste. Il est simplement heureux de savoir qu'il peut faire cet effort matériel. Nous causons tous trois ensemble, allemand et anglais.
Je repars de Sedan sac au dos; la chaleur est accablante. Les gens sont heureux de nous voir. Sedan, jolie ville, mais la pierre est jaune, ce qui enlève la coquetterie aux habitations.
Il y a 3 ou 4 km jusqu'à Flouing où nous devons nous arrêter, mais je sens que je n'irai pas jusqu'au bout. Le mal au coeur me prend, et je mets mon sac à la voiture, avant d'arriver au village. Là, l'accueil très amical. Les gens épluchent nos légumes, font ce qu'ils peuvent pour nous faire plaisir. Une femme nous demande notre linge pour le laver, à plusieurs de mes camarades et à moi. (J'ai occasion de retourner chez ces gens qui m'offrent le café et le chocolat le lendemain matin. Je fais bien de refuser le lit que j'aurais pu avoir chez eux. Après avoir été à l'Eglise avec Agombart et Chiron et après avoir mangé ensemble je me dispose à me coucher, quand tout à coup il faut s'équiper pour prendre la garde. les schlaus (schlans? schleus?) ne seraient qu'à une dizaine de km, et les sentinelles sont doublées. J'avais pourtant grand besoin de repos: 35 km, et 2 nuits passées presque sans sommeil. Je vais donc avec ménager, surveiller le plateau, sur lequel chargèrent jadis les héroïques chasseurs de margueritte. Nous mettons 1 ou 2 cartouches dans le magasin - Le tableau que nous avons sous les yeux est éclairé par un clair de lune magnifique. C'est impressionnant... Le monument se dresse grave et sévère dans le ciel. La campagne est toute de coteaux et de vallées, qui, remplies de brouillard, ressemblent à des étangs. De schlans point.
(note concernant cette journée:
Mon chargement était ainsi fait: sur la grosse capote: équipement de bretelles de cuir et 3 cartouchières avec ceinturon et baïonnette, puis musette et bidon, et sac complet avec chaussures de rechange, toile de tente paquets et couverture, et veste, et sur le dessus du sac boîtes de singe et gamelle, et comme campement une marmite bouilloire, une pioche de travers s/ le sac et le manche dans le côté, et avec cela le grand fusil Lebel. La marche était une véritable contrainte.
12 Août 14
Après cette nuit de garde, journée de repos. Rien de bien extraordinaire. Je vais au Salut le soir. L'Eglise qui parait vieille a été repeinte partout intérieurement. Elle est très belle. La ville est bâtie sur le flanc d'un coteau. Les maisons sont plutôt basses, et jaunes.
13 Août 14
J'ai fait la communion ce matin, peut-être partirons-nous bientôt, et mieux vaut prendre ses précautions. Nous sommes de piquet. Dans la soirée je rencontre Jallin et nous causons longuement: croyance en Dieu, vie future, il est sceptique et ne peut arriver à croire. Quel malheur pour lui d'être dans un état semblable. La fausse philosophie dont il s'est nourri lui a faussé le jugement. Nous parlons musique. Nous en venons à parler de piano et de l'orgue. Sur ce point nous sommes du même avis. Il aime beaucoup l'orgue lui aussi, et beaucoup la musique religieuse. Je lui donne des renseignements sur la Procure.
Après un mauvais repas, je prends la garde de 8h à 10h dans un petit chemin. C'est assommant: on ne doit laisser passer personne, il faut pourtant bien que les habitants rentrent chez eux. Je dors très bien.
14 Août 14
Le lendemain 14, nous partons à la corvée de bois. Nous en profitons pour visiter le musée de 1870. Quel éclat de rire au retour, lorsqu'une de nos voitures chavire sur la route abrupte et cahoteuse.
Dans l'après-midi, je rencontre Agombart et Chiron qui me demandent des croquis. J'en fais un pour Agombart. Nous allons ensuite manger une salade avec Jablin, et boire encore quelques chopes. Heure gaie et rieuse. Je vais au salut; demain l'Assomption.
15 Août 14
Fête de l'Assomption. Je fais le sacrifice du jus qui pourtant est là, et me dirige avec un camarade du côté de l'Eglise. Quel bonheur de communier aujourd'hui.
18 Août 14 (16?) (Mardi)
Gonrieux (Belgique). Quel départ précipité le 15. J'étais à peindre un croquis pour Chiron, et voilà qu'il faut partir. Nous quittons Flouing à 18 heures, et faisons 21 km. pour arriver à Boulzincourt. Et quel temps! Une pluie diluvienne pendant les 2/3 du chemin. Je suis rompu. Nous arrivons dans notre cantonnement trempés jusqu'aux os. Je change de tout et me couche dans le foin. Quel soir d'Assomption!
Nous repartons le 16 au matin, il ne pleut pas. Nous marchons avec l'Infanterie et l'Artillerie. Nous traversons Mézières-Charleville. Les gens nous font un excellent accueil: ils nous apportent de la bière, du café, des cigarettes, du chocolat, des brioches. Je mets mon sac à la voiture. Nous faisons la grand'halte à Cliron, et arrivons à Bourg-Fidèle (pays du capitaine) après avoir fait 33 km. Que la marche est fatigante en ces contrées montagneuses. Là je donne mon linge à blanchir et nous nous reposons dans un grenier à foin.
Nous repartons le lendemain 17. Nous traversons Rocroi et passons la frontière belge. Adieu à la France. Les gens sont très aimables. Nous arrivons à Gonrieux après une marche de 27 Km. Sur la route les gens remplacent nos bidons, nous donnent des oeufs, du pain. Je porte mon sac jusqu'au bout. Quelle côte pour arriver. Nous sommes paraît-il à 30 ou 40 km de la ligne de feu.
18 Août 14
Nous croyions repartir ce matin 18, mais nous restons paraît-il. Repos donc, nous ne l'avons pas volé! Je suis allé au Salut hier soir, puis retourné à l'Eglise. Les chaises demi-hautes servent à la fois de prie Dieu.
Les intérieurs belges sont très propres, et même luxueux, aussi bien dans les femes qu'ailleurs. C'est partout du carrelage mosaïque; les murs sont peints marbre et les portes faux-bois.
Nous allons au service de 8 h pour les soldats belges tombés sur le champ de bataille. L'assistance est nombreuse. Nous passons une bonne soirée, Agombart, Jablin et moi.
Nous repartons le mercredi 19 à 1 h du matin. Nous traversons Marienbourg, Neuviille, Philippeville. Nous faisons la grand'halte à Fraire à 10 h. Nous arrivons Hanzinelle où nous cantonnons à 12 h 30. Il est temps, je suis éreinté après ces 40 km de marche. En arrivant, nous allons Agombart et moi chercher à manger. Nous nous présentons dans une maison particulière, et nous sommes très bien reçus. On nous apporte du café au lait, de la soupe aux herbes, et une omelette, tout cela presque pour rien. Ici comme ailleurs les gens sont très aimables. Le tantôt je vais voir l'église. Elle est vraiment très belle, sans doute enluminée de couleurs claires avec un goût exquis.
20 Août 14 Jeudi
Réveil à 5 heures et nous repartons à 7 h pour Briesne, nous passons par Oret; nous faison 9 km 1/2. Là comme dans tous les pays où nous passons plus rien à trouver pour manger. L'amabilité des gens y pourvoit pourtant; comme j'ai perdu mon couteau, j'en demande à acheter; on m'en donne, et par la même occasion, on m'offre deux oeufs. Je vais à l'église l'après-midi, et au salut le soir. je suis de garde de 22 h 1/2 à 0 h 30.
21 Août 14 Vendredi.
Je vais à l'église avec Chiron, et j'ai le bonheur de communier. Je pense à Louis comme je lui écrivais hier. Où est-il à cette heure?
Nous ne partons pas; resterons-nous pendant toute la journée ici? Je vais prendre un croquis de l'église qui est pittoresque sur sa butte et ses escaliers.
22 Août 14 Samedi. 5 he 1/2 du matin. La fusillade roule, et le canon tonne un peu devant nous. Nous sommes à genoux, en attendant qu'on ait besoin de nous. Nous sommes dans les environs de Bresle.
23 Août 14 Dimanche. 14 h.
Jusqu'à midi, nos positions d'infanterie étaient maintenues, mais bientôt nos régiments, surtout lr 25ème, sont décimés et obligés de se replier.
Quelle pétarde depuis le matin: c'est pis qu'un orage continuel. Jusqu'ici nous n'avons eu aucun projectile dirigé sur nous, et n'avons rien reçu.
Donc tout le 10ème Corps bat en retraite. Nous faisons une tranchée au milieu d'un petit bois, devant les positions ennemies. Nous apercevons l'effet de nos 75 qui font rage et déciment l'ennemi. Je m'approche à plat ventre de la lisière du bois pour voir. Mais tout à coup j'entends le sifflement d'une balle au dessus de moi. Quel demi tour, et fuite à plat ventre dans la tranchée. De temps en temps les balles arrivent. Nous nous blotissons contre nos sacs, le fusil approvisionné, mais nous ne voyons rien devant nous. La position est intenable, et nous l'abandonnons. Les balles sifflent toujours et nous poursuivent.
Toutes les différentes armes se replient, c'est une vraie retraite, en assez bon ordre cependant. Les obus arrivent au dessus du village que nous traversons. l'un d'eux qui éclate au dessus de nous projette plusieurs morceaux dont l'un tombe à trois mètres de nous, et un autre fausse le bidon d'un camarade. Personne n'est blessé. Nous prenons le pas gymnastique. L'artillerie bat en retraite et tire cependant. Il y a beaucoup de blessés le long de la route. Nous prenons position dans un fossé, derrière une haie, pour protéger la retraite. l'ennemi ne se montre pas, et à la fin du jour nous nous replions encore. Pour un premier jour de combat nous n'avons pas de chance. Cette retraite est démoralisante, mais nous ne perdons pas courage. Nous venons cantonner à Brienne, où nous étions la veille. Quel bonheur de se coucher dans le foin. Je suis éreinté et rendu. Une fermière me donne un pot de confitures; je n'ai plus que du chocolat à manger. Quel bon repos pendant la nuit! Mais voici que vers 1 h on vient nous réveiller: alerte! Nous regrettons ce bon sommeil duquel nous nous arrachons. rassemblement, et nous partons. Il était temps; les Allemands entraient paraît-il vers 3 h 1/2 dans le village.
Retraite encore: le 10ème Corps éreinté ne peut résister aux Allemands nombreux; nous revenons donc de Biesnes à Oret où nous arrivons vers 5 h. Là, nous pensons d'abord à manger; nous sommes épuisés. Les 5/6 des maisons sont désertes et fermées. Plusieurs prennent des poules et tout ce qui s'y trouve; il faut bien se soutenir et nous n'avons plus rien!
Vers 10 h, nouvelle retraite, nous nous retirons. La canonnade qui donne depuis le matin augmente et les obus approchent du village. Nous gagnons les hauteurs. Notre artillerie de 75 tape du, et bien dans doute. Vers 1 h ou 2 h l'ennemi paraît reculer et ses canons se taisent. Il recule en effet. Nous avons donc l'avantage. Plusieurs corps d'armée viennent à notre secours de chaque côté. Nous faisons des tranchées sur un coteau qui offre un champ magnifique pour le tir. C'est une excellente position. Nous la quittons pour marcher avec l'infanterie qui va se placer en avant. L'artillerie tonne, et vers 6 h la fusillade crépite. mais voilà que les obus commencent à claquer au dessus de nous, et les balles allemandes nous sifflent aux oreilles. Nous sommes sur le versant d'une crête, et l'infanterie combat de l'autre côté. Nous nous aplatissons et sommes un peu abrités. La fusillade redouble, ainsi que le sifflement des balles au dessus de nous, nous en entendons qui qui éclatent: l'ennemi se sert donc de balles explosibles (sic), malgré les traités internationaux. A ce moment, des soldats blessés ou pris de panique qui ont fait demi-tour arrivent au bout de la crête et se sauvent. Cela produit un bien mauvais effet. On leur demande ce qu'il y a, ils ont paraît-il été repoussés à la baïonnette. Plusieurs de la compagnie veulent fuir. Halte là! crie le capitaine. Il a toutes peines du monde à les maintenir. Nous reculons tous sur un ordre. Puis demi-tour, et en avant sous les balles, et nous revenons où nous étions. Mais voilà qu'on tire par derrière: les balles se croisent au dessus de nous. C'est à n'y rien comprendre. Moment inoubliable! c'est vraiment effrayant. Je suis à plat rentre la tête dans l'herbe, abrité par les souliers de celui qui est devant moi. Je crois bien ma dernière heure arrivée, cependant je prie la Ste Vierge d'éloigner le danger. Je fais le sacrifice de ma vie.
La nuit est venue, Ce qui me touche le plus, c'est le bruit des balles explosant au dessus de ma tête. On entend les zouaves de l'infanterie, qui à l'aile droite chantent la Marseillaise en chargeant à la baïonnette. Enfin, la sonnerie de clairon "Cessez le feu retentit. Il était temps. Comme nous nous en étions aperçus déjà, de graves méprises avaient eu lieu de notre côté.
La fin de la bataille fut une débandade pour nous. Tout le monde affolé revenait sur nous et voulait s'enfuir plus loin. Les chefs criaient halte! et tâchaient de rassembler leurs hommes. C'était une clameur grandissante, et une cohue indescriptible dans la nuit. Quatre ou cinq fois nos capitaines et lieutenants essayèrent de nous rassembler, sous les dernières balles qui pleuvaient encore.
Plusieurs voulaient fuir à tout prix, car ils craignaient de voir arriver les Allemands sur la crête baïonnette au canon.
Enfin, nous nous en allon non loin de là dans un champ de blé où nous nous couchons. Je m'enveloppe dans des gerbes, et j'essaie de dormir. Que m'arrivera-t-il demain? reprendront-ils l'offensive? Enfin à la volonté du Bon Dieu. Je dors assez bien.
J'ai su depuis que les cris et les clameurs qui s'échappaient de notre camp avaient dérouté les Allemands. Ils croyaient en effet que nous nous apprêtions à charger, et ils s'étaient para&ît-il repliés assez loin.
24 Août 14
Le lendemain matin 24, nous nous réveillons vers 3 h. Je vais remplir mon bidon dans une grande citerne. Au petit jour les canons recommencent à donner, et la fusillade crépite encore, moins cependant. Nous allons battre en retraite. Nous nous retirons de coteau en coteau; l'artillerie vient se placer d'échelon en échelon pour maintenir l'ennemi. Nous passons près de nos 75 qui tirent. Tout le Corps se replie, c'est triste et décourageant.
Nous revenons sur nos pas, nous passons à Biesmes, à Florennes, et cantonnons à Cerfontaine à 15 h. Nous en repartons à 21 h: les Allemands noius suivent. Nous bivouaquons en route à minuit, complètement exténués.
25 Août 14
Nous nous reposons 3 h, et nous repartons. Nous arrivons à Virelle près Chesnay à 7 h 30; nous avons fait 50 km, et plus depuis la ligne de feu sans presque manger. Cette endurance nous étonne. Nous allons en forêt barrer 3 routes en abattant des arbres: les schlaus approchent. A 20 h nous partons, pour la France, car la frontière n'est plus loin.
26 Août 14
Marche fatigante dans la nuit. Le sommeil m'emporte. Nous passons à Chimay et arrivons à Frourneau Philipp, à 3h du matin. Nous en repartons à 9 h et passons la frontière. A 13h, nous arrivons à Hirson. Pendant que nous faisons la grand'halte sur le bord de la route, notre lieutenant qui s'en va du côté de l'infanterie se fait arrêter comme espion. Cette méprise qui dure peu nous fait rire de bon coeur. Nous entendons de grandes détonations et de gros nuages de fumée montent dans le ciel. Ce sont les ponts et le fort que l'on fait sauter. Nous allons cantonner dans un village à quelques kilomètres.
27 Août 14
Nous allons faire des tranchées, sur des coteaux dominant une vallée et des lacs. Le paysage est magnifique. Nous coupon,s des arbres pour aménager le champ de tir.
28 Août 14
Nous allons continuer les travaux de la veille. A 10h départ. Nous passons à Vervins, la Vallée aux Bleds, et arrivons à le Sourd. Là, on nous signale l'ennemi à 500 mètres. Retraite immédiate, et nous mettons en défense les coteaux environnants. Nous bivouaquons là. Le canon tonne.
29 Août 14
Réveil à 3h. Nous passons à Sains et arrivons à la ligne de feu. Nous faisons des tranchées. Les obus sifflent ainsi que les balles. Nous nous couchons en tirailleurs dans un champ de betteraves. Les balles s'enfoncent non loin de nous dans la terre. Nous rentrons dans Sains par la gare, et creusons des tranchées dans les jardins environnants. A 10h nous sommes obligés de tout laisser, à cause des obus qui éclatent au dessus de nous. Nous nous replions à travers les jardins: les obus nous poursuivent. Nous allons en arrière faire des tranchées pour l'infanterie. Nous nous reposons un peu. A 17h, nous revenons à Sains. Plusieurs incendies, des cadavres de chevaux, le canon tonne toujours. Les Allemands ont eu de grosses pertes.
A 20h, nous recevons l'ordre de mettre le village en état de défense. Nous pénétrons donc dans les maisons désertes, souvent en arrachant les portes. Nous faisons des meurtrières dans les toits, et dans les murs quand c'est possible. C'est navrant de voir ces pauvres maisons saccagées et ouvertes...
Je suis éreinté par la fatigue, la faim et le besoin de dormir. Au milieu de la nuit, notre travail étant terminé, nous pouvons manger et nous reposer. Il est 1h. Nous nous couchons sur des matelas que nous avons étendus par terre dans une maison. Je dors bien.
30 Août 14 Dimanche
Nous nous réveillons à 4h; la compagnie se rassemble, et nous continuons à mettre le village en état de défense: tranchées, abattage d'arbres. Il y a des morts et des blessés. l'ennemi bombarde toujours. A 10h nous partons. Notre artillerie a infligé de grosses pertes à l'ennemi. Nous nous dirigeons sur marey où nous arrivons à 13h. Nous nous remttons en route à 14h et arrivons à Herlon au bout de huit heures de marche. Nous y cantonnons.
A ce moment la fatigue et les marches continuelles m'empêchent d'inscrire mes notes. Je me souviens que nous passons dans les environs de Sissonne, à Coucy-les-Eppes, Amifontaine. Nous faisons des tranchées le soir et la nuit dans les pays où nous cantonnons. Nous passons à Guignicourt, Cormicy, Jonchery. Tout notre corps d'armée se déplace, et nous marchons toujours près de l'Infanterie et de l'Artillerie, ce qui est très fatigant. Il fait une chaleur accablante et nous sommes éreintés. Nous apercevons Reims dans le lointain. En route, on nous dit que nous devons aller du côté de Paris faire des fortifications. Nous arrivons enfin à Epernay le 3 Septembre dans l'après midi, et nous allons à la gare pour embarquer. Quel bonheur de s'allonger dans le wagon après des marches si fatigantes, et de pouvoir dormi. Nous roulons toute la nuit. Dans la matinée du lendemain 1, le train après un long moment d'arrêt, nous mène jusqu'à Montereau, puis nous ramène enfin à Vimpelles, où nous débarquons. La route est longue d'ici notre cantonnement. Nous y arrivons cependant mais n'y restons pas longtemps: il nous faut faire des travaux. Nous allons donc à 5 ou 6 kilomètres d'où nous sommes et exécutons des tranchées sur un coteau dominant une route. Le terrain est dur et crayeux. Nous travaillons toute la soirée sans pouvoir terminer. Nous retournons au cantonnement. Il fait noir depuis longtemps. Je n'en puis plus et suis presque malade. Quand nous avons fini de manger il est plus de minuit. Je me couche dans notre grange; trop court repos: nous repartons de bonne heure le lendemain 5 pour continuer le travail de la veille. Je n'ai plus aucune force. Je vais trouver le major et lui expliquer mon cas. Il me fait avaler un médicament et me conseille de me reposer. Mais voilà que tout d'un coup l'ordre est donné de partir. Nous nous dirigeons vers une grande ferme non loin d'où nous sommes. La cour immense est remplie de camions automobiles qui vont nous emmener, ainsi que la 10/1. Nous devons paraît-il faire des travaux cette nuit sur la ligne de chemin de fer, du côté de Sézanne. On me fait rester avec les voitures de la compagnie, puisque je suis malade, et nous partons après le convoi automobile. Nous voyageons toute la nuit. Je dors un peu sur les voitures.
6 Septembre 14
Nous arrivons à Sézanne le lendemain matin. c'est le Dimanche 6. Le canon et la fusillade qui depuis l'aube se faisaient entendre se sont éloignés. Il y a donc du bon, et les gens sont plus rassurés. Nous traversons la ville où je puis me ravitailler un peu, et nous continuons notre marche en avant. Les obus allemands éclatent à l'horizon. Nous continuons notre route pour rejoindre la compagnie; elle est dans les environs de Charleville, à 8 km de Sézanne. Aussitôt après son arrivée, elle est allée faire des tranchée sous bois; elle a été saluée par les obus, et réveillée par les balles le lendemain au petit jour; personne n'a été atteint cependant. Son travail a été bien utile: de nos tranchées qui prenaient celles des Allemands en enfilade, l'infanterie a occasionné de très grosses pertes à l'ennemi. La lutte a parait-il été rude.
Les voitures avec lesquelles je suis, rentrent se grouper sur la place du village. Quel triste spectacle! (P. 33) L'Eglise est brûlée et se consume encore; Les maisons ne tiennent plus; les toits sont effondrés. La place et les routes sont jonchées de débris d'équipement et d'éclats d'obus. De grands trous y ont été faits par des obus de gros calibre. dans un coin de la place, plusieurs cadavres de nos soldats et de soldats allemands sont étendus, couverts d'un peu de paille; près d'eux, il y a des fusils brisés et des baïonnettes pleines de sang. La lutte a dû être terrible. Quel affreux spectacle. je fais une prière auprès des pauvres morts.
Des obus allemands qui viennent éclater au dessus du village nous obligent à déloger. Nos voitures sont donc conduites à 1 ou 2 kilomètres de là. Nous entrons chez un pauvre homme chez qui tout a été saccagé, et qui cependant nous offre de bon coeur le peu qui lui reste. Dans la soirée nos voitures reviennent sur la place. Je retrouve la compagnie qui rentre du travail, et nous cantonnons dans une grange. Le cadavre d'un Allemand que nous y avions vu a été enlevé. Il reste encore un porc, blotti dans un coin. Je dors assez bien dans le foin.
Nous sommes quelques jours à Charleville. l'infanterie a repris l'offensive, et l'artillerie a fait de bonne besogne. Plusieurs vont voir les tranchées ennemies, qui sont littéralement pleines de cadavres. Les blessés sont ramenés dans des charrettes, de la ligne de feu; il y a beaucoup d'Allemands. Quelques uns de ces derniers sont déposés momentanément sous un abri, dans la cour d'une école. Je vais les voir. Ils n'ont pas l'air mauvais diables. deux d'entre eux sont blessés grièvement. L'un a le crâne fracassé: la cervelle passe sous son bandage. Il fait pitié. Comme il parle toujours, je m'approche de lui, et lui demande s'il veut boire: Ia, Ia, répond-il lentement. Je lui porte par deux fois mon quart aux lèvres; il en boit avidement le contenu.
Cependant tous les combats sont à notre avantage, et l'ennemi se replie. Nous allons donc le suivre.
(9 Septembre - 12 septembre 14)
Nous quittons Charleville le 9. Il pleut. Comme je suis toujours sans forces, je reste en voiture.
Ca et là des cadavres sont étendus. des armes de toute espèce ont été abandonnées. L'ennemi est en déroute. Nous apssons à Champaubert, Etoges, Vertus, Avize, et arrivons à Epernay. Sur notre chemin nous voyons partout des débris de la déroute allemande: des armes, des toiles, des tentes, des casques à pique, des mannequins à obus, des gargousses, voire même des voitures. Dans un campement, je ramasse deux chargeurs et une carte postale allemande. Les gens sont aimables, et nous apportent du pain, des confitures, etc. Ce n'est pas sans besoin: notre ravitaillement ne fonctionne pas régulièrement. Epernay ne parait pas avoir souffert de l'occupation ennemie. Les Allemands ont cependant fait sauter les ponts en se retirant, et la 10/3 les a réparés sous les obus. Nous continuons notre route: ce qui excite notre convoitise, ce sont les bouteilles à champagne que les Allemands ont vidées et jetées sur le côté de la route. Leur contenu nous aurait fait si grand bien! Nous passons à Sillery. Il fait un temps admirable. La pluie a détrempé les routes que l'artillerie et les convois ont rendues impraticables. Nous marchons près de l'infanterie ou de l'artillerie: ce n'est pas pratique dans la boue. Nous nous arrêtons près d'un bois où nous faisons de grands feux pour nous réchauffer. Cependant nous entendons la canonnade: l'ennemi a dû s'arrêter par là, et il fait de la résistance. C'est le samedi soir 12. A la nuit nous nous remettons en route et allons randonner dans une ferme.
(13 Septembre 14)
Le lendemain 13, nous arrivons à Puisieulx, et nous nous arrêtons. Le petit village a été éprouvé par le bombardement. La canonnade continue toujours en avant de nous. Je reprends mon service: je ne vaux guère mieux qu'il y a quelques jours, mais je ne puis pas toujours rester en voiture.
Comme notre présence est inutile, nous revenons en arrière dans une grande ferme où nous nous reposons. Mais dans l'après midi, nous repartons pour Puisieulx. L'infanterie combat en avant, et les schrapnelle éclatent dans les peupliers, à environ 1 km de nous. Nous quittons la route et venons à travers champs derrière des rideaux d'arbres où nous serons masqués. Il y a là, les chevaux des mitrailleuses, et quelques hommes de l'infanterie. Nous nous couchons à terre, puis à la fin du jour nous allons chercher des gerbes d'avoine pour nous couvrir pendant la nuit. Je dors un peu, mais j'ai froid.
(14 septembre 14)
Le lendemain matin 14, nous revenons faire notre cuisine au village. Nous nous présentons mes camarades et moi chez un garde, qui nous donne à chacun un quart de miel. Quelle aubaine! Nous partageons cela dans l'escouade. Cependant les obus s'approchent du village, et quelques uns s'approchent du village, et quelques uns viennent éclater non loin de nous. Il nous faut donc déguerpir, mais nous avons pu manger un peu. Nous retournons en avant en évitant la route d'où l'ennemi peut nous voir.. Nous dépassons l'endroit où nous étions le matin, nous nous arrêtons à quelque distance d'une ferme, tout près d'un hangar et d'une meule de blé. Des "marmites", obus de gros calibre sont déjà tombées ça et là, en faisant d'énormes trous. Nous ne sommes pas éloignés de la ligne de feu qui est de l'autre côté de la Vesle. Les shrapnells craquent au dessus de nous en sifflant pour éclater sur le village. A quelque distance les marmites font aussi beaucoup de bruit et beaucoup de fumée. Nous reconnaissons les obus et leur dicrection aux sifflements qu'ils produisent. cependant notre artillerie répond ferme. Nous nous abritons derrière les meules. Nous sommes là, avec quelques compagnons d'infanterie.. Le bombardement cesse, puis reprend ensuite.. Vers le soir tout se tait. Comme la veille nous allons coucher à la belle étoile.. cependant c'est à nous deux de faire la cuisins dans l'escouade. Je vais avec D.... à la voiture de vivres, pour prendre ce que njous devons faire cuire. Mais voilà que des balles nous ifflent aux oreilles; il ne fait pas bon sur la route. Nous njous en allons au village, afin que les feux ne se voient pas. Nous faisons notre cuisine dans une cour de ferme. Nousn'y voyons goutte, et le grand vent emporte notre feu.
Là-bas, les obus éclatent toujours. Nous prenons le parti, notre cuisine finie, de passer la nuit à l'abri, et de ne retourner que le lendemain matin. Nous nous couchons dans le coin d'une écurie, sur un lit à deux étages, et nous dormons bien.
(15 Août 14)
Le lendemain 15 au jour, nous allons retrouver la compagnie, que les obus n'ont pas trop troublée. Comme à l'ordinaire, ils continuent à exploser autour de nous sans nous faire du mal. Dans l'après midi, le bombardement redouble. Nous nous couchons et nous pressons les uns contre les autres derrière les meules pour nous abriter. Nous commençons à nous ennuyer là. Pourquoi y rester si longtemps, si notre personne est inutile? Vers le soir tout cesse. Comme il pleut, nous allons couper des branches pour nous faire un abri. Nous le recouvrons de paille, et nous nous étendons dessous pour dormir. Nous sommes bien, beaucoup mieux que les fantassins qui simplement se sont enveloppés de paille. Je dors pendant quelques heures; cependant des coupos de feu tirés en avant me réveillent. Il pleut. Les coups de feu deviennent plus serrés; c'est une attaque de nuit. Il est deux heures environ. Voilà qu'une balle passe en sifflant et vient se loger près de nous, puis une seconde. Pourtant nous sommes bien à l'abri du mauvais temps. En voilà d'autres encore. Tout à coup une explosion formidable se fait entendre, aussitôt suivie de grands cris. Des marmites sont tombées sur la ferme, en tuant et blessant des soltdats. En ub clin d'oeil nous sortons à plat ventre de notre abri; je m'équipe et prends un fusil en faisceau qui est tombé, et nous voilà partis en rampant dans la boue, derrière les meules de blé... Puis voilà que des sifflements que nous connaissons bien retentissent encore; suivis de terribles détonations. Ce sont toujhours les mêmes obus qui tombent en avant de nous. Nous nous aplatissons à terre. Quel réveil! et quel temps! Nous sommes allongés sur la paille trempée, et les balles sifflent, et la pluie tombe toujours. Je rampe un peu plus loin, de façon à être mieux abrité. Les premiers obus ont mis le feu à la ferme. Voilà encore de nouveaux sifflements, mais ils se rapprochent cette fois: des explosions épouvantables faisant trembler le sol ont lieu cette fois: de chaque côté de nous. Nous recevons de la terre qui va voler aussi jusque sur le toit du hangar. Allons-nous périr cette nuit? Je prie la Sainte Vierge d'éloigner le danger. Il pleut toujours; je suis trempé et je grelotte je reste cependant dans la même position: ce serait imprudent de la quitter. Voilà que des officiers arrivent: c'est le général de la brigade et son état major qui étaient à la ferme; ils viennent s'abriter ici, puisqu'elle flambe maintenant. Les marmites continuent à tomber; elles vont un peu plus loin maintenant.
Sous cette épouvantable avalanche, les blessés qui étaient à la ferme sont évacués et transportés en arrière.
Voilà bientôt deux heures que nous recevons de la mitraille. cependant les marmites deviennent plus rares, puis cessent bientôt de nous arriver. Tous mes vêtements sont mouillés, et je tremble de froid. Comme la pluis tombe toujours, nous tâchons de nous abriter autour des meules, en nous tenant accroupis. J'essaie de dormir, mes jambes s'engourdissent, et je suis obligé de marcher. Enfin le jour vient; c'est un soulagement pour nous. La pluis cesse. Il me reste maintenant à sécher: mes vêtements ruissellent encore, et mes chaussures sont pleines d'eau. Nous allons près de la ferme pour faire notre café. Plus de danger maintenant que l'ennemi voie la fumée de nos feux. Les bâtiments flambent toujours. Nous nous réchauffons un peu, et faisons cuire quelques pommes de terre. Voilà que les shrapnells recommencent à éclater non loin de nous; nous n'y faisons guère attention.
Nous mangeons, puis revenons autour de nos meules et nous nous confectionnons avec des branches et des gerbes, un goubi qui nous abritera des éclats d'obus. A peine avons-nous terminé, voilà que le bombardement recommence: nous passons une partie de la journée sous nos gerbes.
Des civiles aux allures louches ont été arrêtés, ainsi que le berger de la ferme qui promenait des moutons. Le propriétaire, allemand, a été arrêté lui aussi, ou s'est enfui. On a parait-il trouvé chez lui un appareil téléphonique.
Dans la soirée, nous faisons un abri pour nos officviers; les shrapnelles éclatent près de nous. Plusieurs sont blessés, parmi lesquels M. ... de mon escouade, qui était sous notre gourbi.
(16 Août 1914)
C'est le 16. Nous restons là jusqu'à la nuit, puis il nous vient un ordre d'aller faire une passerelle sur la Vesle. Nous partons vers 22 heures. C'est tout près de la ligne de feu. Nous travaillons une grande partie de la nuit. Malgré les craquements des peupliers que nous abattons, l'ennemi paraît ne pas se douter de notre présence. Je vais prier un officier d'infanterie qui étudiait sa carte non loin de nous de masquer sa lumière, ce qu'il fait de bonne grâce.
(17 Août 1914)
Vers 3 h du matin nous nous retirons, et rentrons directement à Puisieulx, laissant nos meules de paille. Nous dormons bien, et nous reposons tout le jour suivant, le 17.
(18 Août 1914)
Nous en repartons le 18 et passons je crois à Sillery, Rilly. Nous contournons Reims que nous apercevons dans le lointain; nous voyons les obus allemands éclater auprès de la ville. Je vais prier un officier d'infanterie qui étudiait sa carte non loin de nous de masquer sa lumière, ce qu'il fait de bonne grâce.
Vers 3 heures du matin, nous nous retirons et rentrons directement à Puisieulx, laissant nos meules de paille.
(18 septembre14)
Nous dormons bien et nous reposons le 18 et passons je crois à Sillery, Rilly. Nous contournons Reims que nous apercevons dans le lointain; nous voyons les obus allemands éclater auprès de la ville.
(19 septembre14)
Nous arrivons le 19 à Châlons-sur-Vesle, qui se trouve à l'opposé d'où nous étions par rapport à Reims. Nous faisons des tranchées dans des jardins, et ombrageons un champ de tir.
(20 septembre14)
Le soir et le lendemain 20, nous continuons à mettre un côté du village en état de défense: nous faisons une barricade avec des fûts, et nous perçons des meurtrières dans les toits. la nuit nous cantonnons dans un câteau; j'ai beaucoup de peine à trouver un coin pour me coucher. Il pleut, j'ai froid et je suis malade. Sur le conseil du major, je reste un jour et demi sans manger; mon malaise persiste. Dans la soirée du 20, le capitaine nous passe en revue. Il ne manque rien.
(20-21 septembre14)
Je vais coucher avec A. ... dans un petit grenier, et nous sortons le lendemain matin, en escaladant la clôture du parc. Nous allons directement à l'Eglise où nous entendons la Messe et communions. Nous passons cette journée du 21 dans notre château, et y restons encore le lendemain. Nous pataugeons dans la boue. Comme je suis à la diète, je me couche et en m'enveloppant de couvertures, je puis enfin me réchauffer, et dormir un peu.
(22-23 septembre 14)
Nous partons le soir, et cantonnons à quelques kilomètres dans une grande ferme. Le lendemain 23 ,nous nous en allons à quelques distance en plein champ. Nous rentrons le soir à la ferme. Nous dormons bien: nous avons découvert un coin auquel personne n'avait pensé.
(24 septembre 14)
La journée du 24 se passe comme la précédente: nous attendons qu'on ait besoin de nous. Le soir je suis de garde. Nous nous faisons un abri près des voitures pour passer le reste de la nuit. Je reçois les vêtements chauds que j'ai fait demander à Reims pour notre caporal d'ordinaire.
(25 septembre 14)
Nous partons le lendemain matin 25. Nous sommes en retard d'une heure, sur les ordres qui ont été donnés. Nous marchons à un train fort, et brûlons plusieurs haltes horaires. Nous passons à Oulchy-le-Château et cantonnons à Neuilly-Saint-front. Mon sac est à la voiture: je suis toujours indisposé et éreinté.
(26 septembre 14)
Nous arrivons le lendemain soir 26 à la Freté-Mahon. Nous avons fait 75 ou 80 km depuis hier matin. Je me procure un pot de confitures avec lequel je fais mon repas, car je ne puis plus sentir la viande.
(27 septembre 14)
Le lendemain 27, nous partons tous de bonne heure, nos sacs dans un camion automobile; les marches sont si rudes, que tous nous ne pourrions résister. Nous partons à quelques kilomètres. L'ordre est donné pour une quarantaine d'entre nous, de nous arrêter et d'attendre des camions qui nous prendront. Là je retrouve A. G. ... avec lequel je passe de bons moments. Nous allons au village voisin où nous pouvons manger et garnir nos musettes. les autres nous prennent dans l'après midi. Nous nous y entassons, et arrivons le soir à Duvy. Nous nous couchons dans le hall de la gare. C'est à peine si nous avons de la paille.
(28 septembre 14)
Le lendemain 28, nous passons une assez bonne journée. Le tantôt nous allons à l'Eglise, A. ... et moi, et nous disons notre chapelet. Dans la soirée, un major passe dans nos rangs, et nous fait évacuer, une dizaine d'entre nous. A. ... est du nombre. Il en est désolé. A la nuit, des autos viennent nous chercher, et nous conduisent à Pont-Saint-Maxence. Nous repartons à pied, et après 6 ou 7 km de route, nous arrivons au cantonnement de la compagnie. Il est 9 h du soir.
(29 septembre 14)
Le lendemain 29, j'ai le palisir de recevoir cinq ou six lettres à la fois. Comme mon état est toujours le même, je vais à la visite, ce qui d'ailleurs ne m'apporte aucun soulagement. Nous partons l'après midi, et arrivons à la gare de Longueil-Sainte-marie, après 5 ou 6 km de marche. Nous nous serrons dans les wagons, et le train part à la nuit. Nous nous étendons sur la paille que nous avons pu rassembler, et dormons un peu. A 1 h le train s'arrête et il nous faut descendre. Nous sommes à Villers-Bretonneux. J'ai un besoin de dormir difficile à surmonter. Nous débarquons nos voitures, puis je me couche dans la gare. Mais il faut bientôt partir. Nous voyons des incendies à l'horizon. Nous dormons à toutes les pauses sur le côté de la route.
(30 septembre 14)
Nous arrivons à Pont-Noyelles au matin: c'est le 30. Nous nous reposons pendant la journée, et la nuit suivante. Nous sommes santonnés dans une grange, chez une vielle femme. Les Allemands qui ont occupé sa maison, ont respecté la pièce où elle se tient: l'avis marqué par un chef est en toutes lettres sur la porte. Nous avons pu avoir du lait.
(12 Octobre 14????)
Nous repartons dans la matinée du lendemain 12 Octobre ????. Nous passons à Quenieux, Acheux. Nous nous arrêtons le tantôt dans une grande ferme presque abandonnée, afin de cacher notre manoeuvre aux aéroplanes. L'ordre nous est donné de ne pas sortir dehors. Nous repartons dans la soirée, et il fait nuit noire quand nous arrivons au cantonnement. Nous faisons notre cuisine dans la maison des gens chez qui nous sommes, puis D. ... et moi nous prenons le parti d'y rester pour dormir. Nous étendons deux sacs par terre et nous nous couchons. Je dors bien: malheureusement nous repartons de très bonne heure le matin du 2.
(2 Octobre 14)
Nous passons à Courcelles puis arrivons dans la matinée à Ficheux; nous quittons la route d'Arras, et venons cantonner en avant de la voir ferrée. Nous entendons la fusillade au loin, et voyons les obus éclater aussi en avant de nous. Nous passons là le reste de la journée, puis revenons en arrière passer la nuit dans une ferme.
(3 Octobre 14)
Le lendemain matin 3, nous retournons occuper l'endroit où nous étions la veille. Nous n'avons rien à faire dans la journée: je couds, j'écris et je me repose. Nous y sommes encore quand la nuit est venue. Nous nous en allons alors cantonner au village de Morestel, à deux ou trois kilomètres d'où nous sommes, du côté de la ligne de feu. Nous voyons au loin plusieurs incendies, en avant en côté de nous. Comme j'ai mangé, je me couche en arrivant. On vient nous réveiller: il va falloir faire des travaux de nuit. Quelle envie de dormir j'ai pourtant! Je reviens dans la cour: personne ne se prépare, et il n'y a encore pas d'ordre pour l'instant. Je retourne bientôt dormir. Mais cette foix c'est plus sérieux: la compagnie se rassemble: nous allons exécuter des tranchées sur la ligne de feu, et coûte que coûte a dit le capitaine, il faudra les faire. Ordre nous est donné de laisser nos sacs, après en avoir enlevé l'outil. Je regarnis mes cartouchières. Nous nous avançons avec précaution sur le chemin: il y a des barricades partout. Nous obliquons sur une grande route, à notre droite, puis la quittons pour appuyer à gauche à travers champs. Il y a des taches noires, ça et là dans les betteraves. On nous fait coucher à plat ventre: l'ennemi n'est pas loin, et le clair de lune pourrait nous trahir. Nous devons faire des tranchées pour tout un bataillon, ce qui en fait quatre à exécuter pour chacune de nos sections. Nous allons prendre nos positions respectives. Nous commençons notre travail et entassons les betteraves pour faire des parapets; la terre est facile à enlever et tout va bien.
Pendant que nous creusons notre seconde tranchée, voilà cependant que le canon tonne à notre gauche, et la fusillade crépite de ce côté. c'est une attaque de nuit, mais rien n'est dirigé sur nous. Une chose m'inquiète cependant: c'est le clair de lune qui nous découvre aux yeux de l'ennemi. Heureusement, grâce aux nuages, il est de courte durée. La fusillade et la canonnade se taisent pour reprendre de plus belle. Nous sommes à notre troisième tranchée, et quelques balles sifflent à nos oreilles, puis elles deviennent plus nombreuses. Nous nous couchons à chacun notre tour, pendant que le camarade travaille. pendant ce court instant le sommeil m'emporte. La tranché est finie mais il y en a une quatrième à faire. Pour en connaître l'emplacement, il faut d'abord savoir où est le capitaine. Quatre jalonneurs sont désignés: j'en suis. Nous partons à sa recherche. Il fait clair de lune maintenant, et il n'y a plus de nuages. Les balles passent près de nous en sifflant: nous marchons quand même. Nous franchissons plusieurs centaines de mètres, et arrivons enfin auprès des autres sections. Nous demandons le capitaine. Dès qu'il nous entend, il nous ordonne de nous coucher tout de suite, ce que nous faisons. l'ennemi a dû nous voir: il passe force balles au dessus de nous, et plusieurs d'entre elles rentrent dans le sol. Le lieutenant arrive avec une section que nous avions laissée; le capitaine fait coucher tout le monde. La fusillade redouble; ce n'est plus possible de travailler. Notre sous lieutenant part en avant avertir nos voitures qui sont restées au village, et nous recevons l'ordre du capitaine de quitter le terrain en rampant.
C'est impossible de marcher à plat ventre avec une pioche, un fusil, et ma vest que j'avais quittée. J'avance bientôt courbé en deux, et au bout de peu de temps, notre marche se convertit en course.
Nous réarrivons à la route, battue par des balles, que nous franchissons après nous être abrités une minute dans le premier fossé. Nous suivons le second fossé qui est creux. Les balles font rage. Il nous faut de temps en temps traverser des talus, sur lesquels elles viennent s'aplatir a&vec un bruit sinistre. Il fait malheureusement toujours clair de lune. Je n'en puis plus. Cependant il nous faut quitter le fossé pour appuyer sur notre gauche et arriver au village. Il y a un grand talus à grimper qui est continuellement criblé de balles. Je m'élance, arrive en haut, et continue ma course. Les balles nous poursuivent toujours. Je cours, mais je suis à bout de forces. Je marche maintenant vite, en baissant la tête; la compagnie est devant et derrière, en débandade. Tout à coup, je sens un coup violent qui me déchire le côté; je suis projeté à terre et m'y laisse tomber. Je suis blessé. je demande les brancardiers, mais ils ne sont pas là. Je me relève et recommence à marcher. je souffre, mais c'est supportable. Suis-je blessé gravement, ai-je le poumon traversé: peut-être. Enfin à la volonté du Bon Dieu. Je donne mon fusil à un camarade. Les balles sifflent toujours. cependant nous approchons du village, et la campagne ralentit sa marche. J'avertis alors le capitaine que je suis blessé, et lui demande de me faire conduire à un poste de secours. Un caporal vient avec moi. Dans le village, nous trouvons des majors qui nous renseignent: il y a un poste dans la grange voisine. Là, un caporal infirmier me fait mon pansement; la blessure n'est pas grave, ce qui me tranquillise.
Je repars à pied pour Arras, où des trains de blessés sont en partance. On me conseille, si je le puis, de ne pas attendre les voitures d'ambulance qui n'arrivent pas et qui sont pleines. Les balles sifflent encore sur la route. D'autres blessés se rendent comme moi à pied; l'un d'eux qui a la mâchoire fracassée s'appuie sur mon épaule. Il n'en peut plus, et nous avons en tout 8 km à faire. En route les schrapnells éclatent à 200 mètres de nous. Enfin nous arrivons à la gare, c'est le Dimanche 4 Octobre; j'ai été blessé le matin vers 5 h.
Notre train qui contient 900 blessés part vers 10 h. Nous remontons jusqu'à Calouin? en passant à Saint-Pol et à Saint-Omer. Le train va très lentement. Nous passons ensuite à Boulogne, Abbeville, Creil et n'arrivons que dans la matinée à Juvisy. Nous sommes cependant bien ravitaillés à toutes les stations. Le train repart mais vite cette fois, nous conduisant par Orléans et Blois à Saint-Pierre-des-Corps. Quel bonheur pour moi d'être sur cette ligne! Je demande au major à descendre à Tours ou à Angers, il me dit qu'à Saumur on laisse 150 blessés. J'y descendrai donc. Nous partons à Varennes et arrivons à Saumur, où je monte dans une voiture d'ambulance. Elle me dirige sur saint-Louis. c'est la Providence qui me conduit. De saint-Louis, on nous envoie à St-Florent où nous arrivons vers 10 h. Notre voyage a donc duré 60 heures, mais grâce à Dieu, nous sommes arrivés à bon port.
Je suis resté à la Communauté des Soeurs de sainte Anne à Saint-Florent 5 semaines jusqu'au Mardi soir 10 Novembre. j'ai été l'objet des bons soins de Mère Marie Angelina qui a été plus longtemps à me guérir de mon entérite aigüe que de ma blessure. Le samedi 31 Octobre, elle me disait qu'il me fallait au moins 6 semaines pour me remettre, et je partais 10 jours plus tard.
Je suis resté à l'ambulance du Bellay dont je me suis trouvé le dernier pensionnaire, et à Allonnes jusqu'au 4 et 5 Décembre.
Quelques jours de repos à la caserne et une permission à Allonnes de quelques jours aussi me poussent jusqu'au 18 décembre.
Fin du 1er carnet