Kitara

Passion

Passion

 

Zacharie de Vitré

 

Comme trois forgerons, sur la barre allumée

Frappant à tour de bras; un coup vient, l'autre suit,

L'un bat, l'autre redouble, et l'un l'autre poursuit;

Tandis qu'elle retient sa chaleur enflammée.

 

L'enclume qui gémit en est presque entamée,

Le lieu tremble de coups, l'air résonne du bruit,

Le fer cent fois battu d'étincelles reluit,

Et de ces feux volants la boutique est semée.

 

De même trois bourreaux font leurs sanglants efforts,

Les fouets à la main, dessus ce sacré corps,

Rouge et brûlant du feu dont il est la fournaise.

 

Le prêtoire résonne et change de couleur,

Le sang en rejaillit et prend de cette braise

Les bluettes, le teint et la vive couleur.

 

Le nouvel Orphée

 

L'Amour l'a de l'Olympe icy bas fait descendre;

L'amour l'a fait de l'homme endosser le péché;

L'amour luy a des-jà tout son sang fait épandre;

L'amour l'a fait souffrir qu'on ait sur luy craché;

 

L'amour a ses halliers çàson chef attaché;

L'amour fait que sa Mère à ce bois le voit pendre;

L'amour a dans ses mains ces rudes clous fiché;

L'amour le va tantost dans le sépulchre estendre.

 

Son amour est si grand, son amour est si fort

Qu'il attaque l'enfer, qu'il terrasse la mort,

Qu'il arrache à Pluton sa fidèle Euridice.

 

Belle pour qui ce beau meurt en vous bien-aimant,

Voyez s'il fut jamais un si cruel supplice,

Voyez s'il fut jamais un si parfait Amant.

 

 


 

Jean-Pierre Camus (1584-1652)

Fin de l’homélie   “Mercredi. Prise de Notre Seigneur, Homélie XIII” (1642)

Il me semble que nous ferions bien (de) prendre notre essor vers les douleurs de la Penitente Marie (Madeleine)... je vous prie de crayonner  notre Pécheresse convertie, apprenant la triste nouvelle de la prise de celui qui était l’unique Amour de son coeur.
   Où flambez-vous, disait-elle, mon beau Soleil, pendant les obscurités de cette cruelle éclipse? Quelles ténèbres sauriez-vous plus utilement éclairer, que celles de mes défauts?
   O misérable! ce n’était point aux banquets d’un Pharisien qu’il le fallait suivre, mais bien en cette dernière occasion! il se fallait victimer à ses pieds, et lui rendre en une mort honorable les preuves de ton ardente fidélité : ô le glorieux tombeau! ô cher martyre! ô doux baptême de sang, pour l’expiation de mes immondices; j’ai donc ainsi pauvrement perdu l’occasion de m’y plonger...

La voilà comme une Bacchante enthousiasmée, qui se rue sur ses tresses: "O cheveux misérables! ce sont vos vanités passées qui composent les cordages dont est garrotté mon Jésus, allez tisons malheureux, braises des âmes malavisées, allez rets et filets des coeurs infortunés, allez lacets et pièges, vous êtes la maudite cause de l’effet de ses liens.
   Puis plombant son estomach de coups, O poitrine malheureuse dont l’étalement était jadis une boutique d’impureté: c’est toi chair détestable, ce sont tes sales délices qui sont causes des coups et des meurtrissures de mon Jésus. O mauvais coeur! ce sont tes déshonnêtes bras, qui avez servi à des misérables enlassements, et à l’impureté, que ne serviez-vous à cette sainteté et à justice, en cette prise que n’étiez-vous là, pour défendre, ou pour irriter les glaives de ces  Gelons??? felons (prompts?) à donner une glorieuse mort à ce corps détestable.
   Mais comment retrancrire ici, mes frères, ce que dicte à mon esprit la fervente fureur de cette Princesse des saintes amantes.
   Imaginez-vous un petit oiselin qui voit enlever de son nid par une main pillarde ses petits encore tendrelets, il va frémissant en sanglots, craquetant de son bec, et grinçant de la voix, de corps petit comme un oeuf, de courroux gros comme un boeuf... Sur ce modèle raccourci, figurez-vous les outrés désespoirs de cette amoureuse Pénitente, qui se voyait enlever des mains celui qu’elle chérissait plus que son coeur, ni que ses yeux, ni que sa vie.
   La voilà toute enflambée de colère et d’amour qui sonne le tocsin, tourne le réveille-matin, crie à toute la troupe, qu’il faut aller chercher ce cher Maître, et mourir avec lui,... elle dit, et tous consentent, car QUI ne voudrait mourir avec Jésus?
   Allons, mes chères âmes avec cette bénite troupe, à la quête du pauvre et abandonné Sauveur: QUI ne se voudrait embarquer avec Marie dans cette nef des Argonautes, pour aller à la conquête de la toison d’or?           Où allez-vous  sainte compagnie?

 

Hélas! elle va à une Procession de mort, accompagner au Calvaire, à la sépulture, et mourir  et s’ensevelir avec lui, si faire se peut...
   Voilà donc la sainte Mère de Jésus à la tête, conduite par saint Jean, et le Lazare,   suivent: Marie Jacobi, et Salomé, soeurs de la Vierge, tantes de notre Seigneur: après marchent Marie la Pénitente, et Marthe: O la dévote Procession! et qui ne s’y voudrait ranger!
   Ces beaux oiseaux du jour, tous aigles du Soleil d’Orient, se mettent en campagne pendant les horreurs de la nuit, où chaque bouffée de vent leur est un épouvantail, néanmoins leur fervent amour perce tous ces obstacles.
   Qui a jamais vu des ourses à qui on a enlevé les (en)fans de leurs cavernes, remplir de hurlements les Echos, courir deçà, delà, fureter tous les coins d’un bois, et d’une montagne, pour retrouver leurs petits, qu’elles ont façonnés avec tant d’allèchements; représentez-vous cette Mère, qui avait avec tant de peine élevé ce cher Fils, le sauvant en Egypte, qui l’avait embrassé tant de fois: figurez-vous saint Jean, qui avait puisé tant de secrets sur sa poitrine: le Lazare qu’il avait retiré du tombeau: Marthe, qui lui avait rendu tant de menus offices: et Madeleine, cette Ourse furieuse d’amour, qui lui avait tant parfumé, lavé, et léché les pieds, oh quels sanglots roulent toutes ces bonnes âmes!...
   Un dévot contemplatif a imaginé que cette sainte troupe passa par les ateliers où se fabriquaient les croix et les clous pour notre Seigneur, et les deux larrons: ô quelle douleur à la
Mère, de voir ces cruels instruments de la mort de son Fils. Madeleine d’une zélée curiosité, s’enquérant pour qui elles étaient, entend ce blasphème horrible, que c’était pour trois insignes voleurs, dont le Chef était Jésus de Nazareth: ô quel crêve-coeur! tu blasphèmes exécrable bouche, et si (pourtant) tu dis vrai, car les deux sont voleurs des corps et des biens, mais mon Sauveur est un saint voleur des coeurs et des âmes: Volez le mien, doux Jésus, et ne me le rendez plus. Amen
   


Gallica: “Camus+ Passion.
Sermons sur la Passion, p. 179 à 181...avec quelques aménagements.

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Théâtralité vocale
- Voix du narrateur qui raconte les événements
- Voix du narrateur qui s’adresse à l’auditoire
- Marie-Madeleine s’adresse au soleil
- Marie-Madeleine s’adresse à son corps (cheveux, poitrine)
- Le narrateur s’adresse à la troupe

 

 


 
 
Mater Dolorosa

Lorsque son Fils Jésus fut, lamentable et beau,
Descendu de la Croix et mis dans le tombeau,
Marie, ayant dans sa plénitude sévère
Accompli jusqu'au bout le maternel calvaire,
Eut soif soudain d'un peu de paix, d'isolement.
En dépit de leurs soins repoussant doucement
Tous les êtres aimés qui partageaient sa peine,
Tous, jusqu'à Jean l'Apôtre et jusqu'à Madeleine,
Elle laissa leurs coeurs se consoler entre eux
Et, seule à seule avec son rêve douloureux,
A travers le veuvage éperdu de cette heure,
S'en revint dans le soir vers sa triste demeure.
L'univers tout entier semblait frémir encor
Du récent drame auquel il servait de décor :
Les oliviers tordus par de tragiques bises
Secouaient sur le sol, sans fin, leurs feuilles grises,
Qui, tels des pleurs de cendre, erraient - vol infécond ! -
Le crêpe échevelé des nuages de plomb
Voilait le front lointain et livide des cimes
Où le couchant râlait en des rougeurs de crimes...
Marie, avec effroi, se demandait comment
Dieu, malgré l'équité de son esprit clément,
Pardonnerait jamais aux hommes cette faute
Dont l'aberration se révélait si haute
Que les éléments même exhalaient, anxieux,
L'innombrable courroux de la terre et des cieux
En révolte.Non loin, au coeur d'un térébinthe,
Une palombe, oiseau de paix, pleurait sa plainte...

Soudain, sur le sentier, au-devant de ses pas,
La Vierge vit venir une femme. Si las
Semblait son pauvre corps courbé par la vieillesse,
Son visage ridé, son regard de détresse,
Que Marie, au travers de sa propre douleur,
Devina dans cette âme une misère soeur.
Lors, elle interrogea doucement l'inconnue.
Celle-ci, d'une voix navrante, contenue,
Ne put que lui répondre en se tordant les mains
Et secouant la tête : " Ah ! Passez vos chemins,
Femme, et laissez leur cours à mes larmes amères.
Je suis, hélas ! la plus malheureuse des mères ! "
La Mère des Douleurs, d'un geste, l'arrêta...
Quel tourment, ici-bas, valait son golgotha ?
Quel fils pouvait subir un destin plus infâme ?
Elle voulut savoir le nom de cette femme...
L'étrangère frémit. Sur l'émoi d'alentour
Ses yeux brûlés, ternis, se fixaient tour à tour
En angoisse craintive, en muette prière...
Son être, sous le poids de la honte dernière,
Plia. Son souffle, empreint d'horreur, sourd comme un glas,
Agonisa: " Je suis... la mère... de Judas ! "
Marie, à son tour, tressaillit, puis, convaincue
Par cette immensité de torture vécue,
Sentit son coeur se fondre en un cri de pitié...
Douce, elle releva le corps humilié
Et dans un fraternel élan posa ses lèvres
Sur le pâle visage où les pleurs et les fièvres
Expiaient, en vertu d'un mystère infini,
L'autre baiser donné sur le Gethsémani !...
Pendant ce temps, non loin, au coeur du térébinthe,
L'oiseau de paix, l'oiseau d'amour, chantait sa plainte...

Lya Berger, Les Effigies, 1911

 



 

Henriette de la Suze (1618-1673)

 

Fin d'une Elégie (publiée 1698)


 Je viens, cruelle Iris, les yeux baignés de larmes,

Me jeter à vos pieds et vous rendre les armes:
je viens, malgré les maux que j'ai déjà soufferts,

Rentrer dans vos prisons, me remettre en vos fers,

Endurer les rigueurs de mon premier martyre,

Suivre vos dures lois, mourir sous votre empire,

Et vous faire paraître un cuisant repentir

D'avoir insolemment essayé d'en sortir.

......................

 

Je voulus vous quitter pour éteindre ma flamme

Et le (dépit) à tel point sut aveugler mon âme

Que je crus, loin de vous, trouver quelques appas

Et pouvoir vivre heureux où vous ne seriez pas.

Ainsi donc pour guérir de mon ardeur cruelle,

Je me laissai conduire à ce guide infidèle:

Et d'un visage triste abandonnant ces lieux,

Je tâche à divertir mon âme par les yeux.

.........................

Mais hélas! (c)les objets à mes yeux présentés,

Bien loin, aimable Iris, d'effacer vos beautés,

Vinrent par leurs attraits en rafraîchir l'idée,

Que malgré le dépit, mon âme avait gardée.

Bien loin de rencontrer en ce charmant séjour

Un asile à couvert des forces de l'amour,

Je ne connus que trop, admirant sa puissance,

Que j'étais en des lieux de son obéissance...

 .........

 Fuyons, criai-je alors, et nous sauvons ailleurs,

L'amour est dans ces prés, l'amour est dans ces fleurs.

Sur un mont sourcilleux et presque inaccessible,

Par les rudes sentiers d'une route pénible,

Fuyant de ces beaux lieux les dangereux appas,

Toujours triste et chagrin je conduisais mes pas.

Au sommet de ce mont un bois épais et sombre,

Sous des rameaux touffus cachait le frais et l'ombre...

 ...

 Au travers des haliers et des vertes fougères,

Erraient les daims peureux et les biches légères,

Qui rentraient aussitôt dans le bois le plus noir,

Et que l'oeil incertain ne faisait qu'entrevoir.

Je voulus m'arrêter, pressé de lassitude,

Et goûter le repos dans cette solitude:

Mais hélas! je connus que pour les amoureux,

Encore plus que les prés, les bois sont dangereux,

Que l'ombre et le silence enflamment leur blessure,

Et que le vert lambris d'une forêt obscure,

Qui résiste aux ardeurs du bel astre du jour,

N'est pas impénétrable à celles de l'amour:

Je le vis le cruel qui dans ce lieu sauvage,

Avec son petit arc, faisait plus de ravage

Que Diane n'en fait dans toutes les forêts.

Rien qui se présentât, n'échappait à ses traits,

Les timides chevreuils, quoiqu'ailés par la crainte,

En avaient ressenti l'inévitable atteinte,

Le cerf bramait sans cesse, en son fort retiré,

D'un coup que dans son coeur l'amour avait tiré,

La tourte désolée et plaignant son veuvage,

Sur un triste rameau dépouillé de feuillage,

Par son chant langoureux exprimait son tourment,

Et remplissait le bois d'un long gémissement.

Je ne sais s'il me vit, mais au fond de mon âme,

Je sentis, belle Iris, descendre un trait de flamme,

Qui réveillant en moi votre doux souvenir,

Fit à mon coeur blessé pousser un long soupir.

 

Je sors de la forêt, et le long de la plaine

Je suis aveuglément le dépit qui m'entraîne,

Je traverse des champs, des îles, des déserts,

Des coteaux, des vallons, des fleuves et des mers,

Je passe en mille lieux pour soulager ma peine:

Mais de quelque côté que le dépit me mène,

De mon cruel tourment je sens toujours les coups;

Et ne puis m'éloigner de l'amour, ni de vous.

Ces prés, ces bois, ces fleurs, dont la vive peinture

Pare également le sein de la nature,

Ces monts impérieux, ces déserts écartés,

Ces fertiles vallons, ces superbes cités,

Ces verdoyants coteaux, ces jaunissantes plaines,

Ces fleuves orgueilleux, et ces claires fontaines,

D'un langage muet, me disent tour à tour:

Il n'est rien qui ne cède au pouvoir de l'amour:

...

 

Ainsi je reconnus ma trop vaine entreprise;

Et l'erreur dont mon âme avait été surprise:

Ainsi je vis mon crime, et j'en eus telle horreur,

Que je pensai mourir de honte et de douleur.

Ainsi, cruelle Iris, je viens les yeux en larmes,

Me jeter à vos pieds et vous rendre les armes:

Ainsi, malgré les maux que j'ai déjà soufferts,

Je viens triste et confus me remettre en vos fers,

Endurer les rigueurs de mon premier martyre,

Suivre vos dures lois, mourir sous votre empire,

Et vous faire paraître un cuisant repentir

D'avoir insolemment essayé d'en sortir.

(7 mn)

 

(Recueil de pièces galantes, vol. 1, page 19, pdf Gallica)



21/09/2011
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