Courant (Maurice) - Stèles
A Louis Chaigne (1) | ||
A Louis Chaigne (2) | ||
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A ANDRÉ BLANCHARD
Ainsi, le jour n'est plus où tu étais vivant,
Impatient désir d'espace inaccessible !
Intelligence au bord des cimes, soulevant
Poussière de soleil ! O force inextinguible
De l'esprit d'ombre en ciel superbe décrivant
Sa course d'or déjà vers l'Absolu pour cible,
Dont s'afflige pourtant quelque soupir rêvant ! -
Insondable matière où l'âme frémit toute !
Voici ton sel, ton sang, ta flamme et ta déroute,
Et ta larve amoureuse d'herbe et de poison !
Mais, à travers l'horreur des masques et du doute,
Comme, au-delà de toute courbe, hors saison,
S'immobilise l'éclat pur de l'Astre, écoute
L'Eternité surgir du fond de ta raison !
Aussi longtemps que ta mémoire
Surnagera dans l'univers
Par la présence dérisoire
Mais forte contre les hivers
De ce qu'il reste pour y croire
Dans le silence de tes vers,
Se rejoindront dans le temps même
Qui nous enserre et hors du temps,
Cette âme d'or que le vent sème
Au coeur de quelques survivants
Et celle-là déjà que j'aime
Et qui s'inscrit comme un poème
Dans le plus clair des jours levants.
Pour la première fois depuis votre silence,
Voici que je reviens fidèlement vers vous,
Chère Ame, dont le poids secret de la souffrance
Me fut un réconfort incomparable et doux.
Se peut-il que d'un feu qui brûla dès l'enfance
De toutes les ardeurs du plus beau jour levant,
Il ne reste aujourd'hui que la seule présence,
Au fond du souvenir, d'un peu de cendre au vent ?
S'il fut vraiment une âme à nulle autre pareille
Sur ces flots qui du temps roulent vers d'autres bords,
Votre plus fier destin brusquement appareille
Et s'échappe déjà du royaume des morts ;
Il s'élance au-devant des étoiles nouvelles
D'un ciel que vous aviez pour toujours entrevu
De ce regard plongeant dans les choses mortelles
Pour mieux y retrouver le Paradis perdu ;
Et rien n'arrêtra sa course dans l'espace
Par-delà le désert des dominations
D'un monde reniant de l'éternelle Face
Ce qu'il peut en saisir encore de rayons,
Sans que vienne jamais nulle terrestre entrave
Troubler ce qui n'est plus que pur cheminement
De flamme et de désir inexprimable et grave
De l'âme libre enfin de tout mortel tourment,
Vers cette ultime cîme où toute soif s'apaise
En la sérénité vivante du seul jeu
Qui vaille que le coeur devienne comme braise
A fondre de tendresse immense cette glaise
De l'être qui défaille au sein de la fournaise
De l'unique splendeur brûlante de son Dieu !
LOUIS CHAIGNE (3)
Ah! dites-moi, très cher Louis,
De votre coeur quel est le songe
Par-delà tous les aujourd'huis
Et quel miracle en vous prolonge
Ce Jour plus calme que vos nuits, -
Tandis que mon silence plonge
En cet espace aux sombres fruits
D'une tristesse qui me ronge
Au pur secret des jours détruits?
Ton visage attentif au souffle de la mort
Traversait la mémoire en des songes funestes ;
De la vie égarée en l'âme les seuls restes
Semblaient flotter vers l'ombre calme comme un port. -
Mais ton être déjà, dans son ultime course,
Secrètement baigné des lumières d'en haut,
S'abreuvait d'une soif tranquille à cette source
Dont la fraîcheur dans l'âme coule comme l'eau.
Tu n'attendais plus rien des choses de la terre;
Ton regard s'enfuyait de nous comme d'un sort
Qui t'aurait empêché d'atteindre à ce mystère
Que tu voyais en toi briller comme de l'or;
Et tu laissas tomber d'une main tutélaire
Un peu de ce trésor que ton Amour du Roi
Sut garder sans regret ni plainte pour nous plaire,
Quand notre âme - au milieu de l'ombre - meurt de froid !
En ce moment où l'âme se consume
De ne pouvoir lutter comme il faudrait
Contre ce coeur qu'un mal profond résume
Au battement d'un coup qui le romprait;
A travers l'ombre où le destin s'abreuve
De trop de sang reflué nuit et jour
Jusqu'à ce que la forme la plus neuve
De ce grand corps se lève sans retour ;
A la limite extrême de la houle
Où l'être entier désormais se revêt
De ce bruit fou, cette rumeur de foule
Dont à l'insu de soi-même il rêvait;
Quand tout s'efface et que plus rien ne dure
De ce qui fut l'espoir des lendemains
En cet étrange flot de démesure
Du seul instant qui reste dans les mains ;
Lorsque la mer immense mais promise
Se dresse toute, en des secrets tourments,
Pour ébranler, dans leur mortelle assise,
L'âme et le corps, plus que jamais amants ;
Et qu'à la fin, lasse de lutte atroce,
L'âme soudain se retire du corps,
Pour n'aimer plus, après si longue noce,
Mais libre d'eux, qu'abîme et membres morts ;
Dans le silence aveugle de la terre
Où le néant frappe de grands coups sourds,
Une autre force alors que rien n'altère
Envahira les formes sans contours,
Délivrera ce monde d'un mystère
A nos regards fermé comme une tour,
Et soulevant encore la poussière
De tant d'ivresses mortes à leur tour,
Comme d'un feu de vérité plénière,
Exaltera, dans sa splendeur dernière,
La créature offerte à la lumière
De l'insondable espace de l'Amour !
En son Ermitage de haute Soif d'Ame de "Bellefontaine"!
Alors que l'ombre immense et folle et ressemblant
A de la mort vivante en la forêt obscure
De notre âme perdue au fond d'une aventure
Où nous n'avancions plus, ensemble, qu'en tremblant,
Nous déchirait le coeur d'inexprimable épure,
Vous passâtes, ainsi que la vision pure,
- D'une superbe, haute et fulgurante allure,
Avec ce mouvement extrême d'une bure
Qui vous drapait le corps comme dans une armure, -
D'un Ange enveloppé dans un grand manteau blanc !
A Michel Poissenot, -
pour son drame,
du même nom.
Dans un ricanement d'enfer
Et qui déchire de douleur
Inexprimable sous le fer
Ton âme vive de pâleur,
Vois, Jacopo, dans ce désert
De meurtre ultime, de malheur
Où tu détruis, d'un geste amer,
La course folle de ton coeur,
Surgir, en la clameur de l'air,
Cette semence du meilleur
De ton silence, quand ta chair
Encore pleinr de fureur
S'effondre, en un désastre clair,
Au plus profond de la rumeur
De cet immense gouffre offert
A toute force d'ombre, - et meurt !
Un peu d'ombre sur tes mains blanches ;
La couleur du jour se défait ;
Il n'est plus de feuilles aux branches,
Ni de ciel bleu sur les pervenches ;
Mais lorsque vers le coeur tu penches
Cette clarté dont il rêvait,
Par ces mots purs en avalanches
Du tendre éloge le plus vrai, -
Malgré la fin des beaux Dimanches
Et du soleil dans la forêt,
C'est toi, l'Ami des larmes franches,
Qui, dans un songe, m'apparaît !
Les présents du jardin, l'ombre du four, la porte,
Les objets familiers entrent dans mes yeux froids ;
Me livre son secret le songe que tu portes :
"Apprends à regarder les choses que tu vois !"
-
Martineau, tes tableaux sont exempts d'amertume :
Tes verts, tes gris se rient des angoisses du sort,
Cependant dans tes ors quelle tristesse allume
L'Art, non moins que la Vie, et l'Amour, et la Mort !
Marthe-Claire, devant vos yeux
Qui brûlaient d'impuissantes larmes,
Mon coeur, de douleur furieux
De voir vos tragiques alarmes,
Ne pouvait rien faire de mieux,
A l'heure ultime des adieux,
Que de vous présenter les armes !
Foudroyé par un coeur sans cesse haletant
De ne pouvoir jamais secrètement survivre
A tous ces battements d'un éternel instant
Dont il ne sut tirer le souffle qui délivre; -
D'un brusque éclair striant du ciel les ombres ; ivre
Du sourd gémissement des songes ; éclatant
Dans cet art que ton âme au pur silence livre ;
Tu passas sur nos fronts fugaces et distants
Comme un sillage clair d'Ange qu'on ne peut suivre :
Lucide, immense et seul, et déjà hors du temps !
René-Albert Charrier : un poète et un artiste au coeur de feu ; que l'oubli ne recouvrira pas ; qui restera dans la pensée de quelques-uns comme l'auteur d'une oeuvre brève mais vive, d'un sombre éclat - le créateur de quelque chose de profond comme la mémoire.
René-Albert Charrier : mon ainé dans ce paysage des Mauges, où les collines douces aux profondeurs spirituelles insondables, avec des frondaisons d'un vert enveloppant comme la nuit, ont, dans le frissonnement de la lumière, des ondulations de mer éternisée...
René-Albert Charrier : qui m'a précédé sur les chemins de l'écriture, dont on ne sait ni d'où elle vient ni où elle va, mais dont on se doute bien quelle porte en elle pourtant le pressentiment d'une durée sans limite en laquelle elle s'inscrit de toute la frémissante et douloureuse musicalité de son chant.
René-Albert Charrier : dont l'art plastique s'insère en cette expression de l'âme humaine qui se réfère d'autant plus à la figure qu'elle en vient, et pour laquelle dramatiquement aussi, jsuqu'à l'épuisement du cri de la blessure, il n'est rien qui vaille au-delà de l'ultime révélation du Visage entre les visages, qui se cache au sein de tous les visages, et qui pourrait bien être celui-là même de Dieu.
(Poème et texte parus dans les oeuvres complètes de René-Albert Charrier et intitulées : " Une Voix Un Cri".
Rien ne me reste du visage
Où je surpris ta vérité,
Plus doux pour moi qu'un paysage
Calme et serein d'un jour d'été.
Car au-delà du clair langage
Où meurt l'outrage déserté,
Tu m'appelles pour un voyage
Si formidablement jeté
D'un bord à l'autre de notre âge
Qu'il est pour moi comme le gage
Après son lumineux présage
Que ta présence est toujours sage
Et forte et grave à mon côté.
Edmond de la Loire et des Mauges,
De la clarté d'un ciel vivant
Et de ces rives en fuyant
Où vont les rêves que tu jauges
Se perdre en le Soleil levant!...
Songe!... Le Songe qui t'abreuve
De la beauté des mots surpris
Par le flot de Jouvence neuve
Que leur confèrent tes écrits,
Fait se lever, comme d'un Fleuve,
Loin des soifs folles et des cris,
Ton Chant, pourvu qu'il nous émeuve
Et qu'il fascine les esprits !
En l'honneur de son silencieux départ pour le grand Pays Secret
Quand les grands Enfants de Septembre,
La mort vivante entre leurs bras
Et le silence dans leurs membres,
Seront indiciblement las
De voyager en quelque chambre
De brouillard moite et de frimas,
Sans que l'on puisse les comprendre,
D'un seul coup d'aile, juste au ras
D'un ciel déjà couleur de cendre
Et dont le soir les couvrira,
Plongeront tous, loin des méandres
Des innombrables eaux d'en bas,
Plus forts que l'ombre pour défendre
Leur pauvre coeur qui ne meurt pas,
En ce pays des gestes tendres
Dont nul jamais ne reviendra.
Il semble, en l'or, que rien ne change
Dans le silence où tu parais,
Quand passe, ainsi qu'une aile d'ange,
Un vol d'oiseau sur les marais...
DES VENDÉENNES MARTYRES
POUR LEUR FOI!
Comme l'on jette au feu de l'Ombre l'herbe folle,
Ainsi firent-ils donc des femmes de chez nous,
Sans savoir que du fond des Songes les plus fous
Peut s'élever d'un coup le cri d'une Parole
A faire naître, au coeur de ce qui tout console,
Et sans qu'il soit ici besoin de parabole,
Des Ames que les Cieux implorent à genoux!
Je serre sur mon coeur ta vérité profonde.
Père, père visible et que la mer emporte
Sans qu'il me soit permis, que mort, de te revoir,
Regarde mon visage et vois s'il n'est plus forte
Semence que la tienne en moi qui s'en vînt choir!
Je n'aurai plus revu que pour ne le plus voir
Ton visage marqué du sceau du sacrifice
Qui le purifia d'un coup du maléfice
Qui le tînt si longtemps sur terre en son pouvoir!
Si le sort t'a fixé dans la durée ardente
Où nul soleil de mort se puisse concevoir,
Mon âme à la merci du feu qui la tourmente,
Te retrouve en mes traits, comme dans un miroir.
Comme un songe surgi des rives de l'Hiver,
Te voilà projeté dans la Lumière pure
De cette Vérité sans faille et sans mesure
Qui rayonnait déjà sans fin sur ta figure
De chercheur immortel, - en sa démarche sûre
De trouver, par-delà toute ténèbre obscure,
L'Univers infini d'un Ete vaste et clair!
SUR JEAN RIVIÈRE
(Texte du Père Gélineau...à la demande de Maurice Courant)
Le mot qui me vient, quand j'évoque la mémoire de jean Rivière, c'est: profondeur. Profondeur de pensée, profondeur d'amitié, profondeur de foi. Telle était sa parole, lente, sous forme de sentences; son écriture dense, sans bavardages; sa méditation, lorsqu'il en rompait le silence.
Celui qui avait tenu la charrue savait qu'elle ne devait pas quitter le sillon, mais qu'elle doit retourner une terre où pourra germer le grain, nourriture de vie.
Reste avec nous, notre ami, dans ces profondeurs qui, plus que jamais, nous unissent.
Joseph Gélineau
Poète
André BERRY,
en réponse
à son
magistral et quasi testamentaire
PERVIGILIUM MORTIS
Berry, mourez, sans laisser sur la terre
Votre carcasse à la postérité;
Abandonnez de votre presbytère
Les bois aux vers et les murs à l'été;
Mais ne craignez que quelque mal austère,
Méconnaissant d'un nom la vérité,
Ne jette, un jour, par surcroît de misère,
Ce Berry même aux rives du Léthé;
Quant à ceux-là dont vous avez été
La cible ici, lors même que fêté
Sous d'autres cieux, qu'en avez-vous à faire,
Puisqu'aussi bien nul secret ne peut taire
Cet oeuvre tel, par les astres porté,
Où vous avez si bellement chanté
Ce temps qui fut d'ivresse si légère
Bien que toujours par la mort habité,
Qu'il narguera le souffle délétère
Qui détruit tout des jeux de la cité, -
Tant désormais, du coeur de l'éphémère
Voguant sans fin vers quelque éternité,
Il aura su garder de force-mère
Et de tendresse en soi pour exister.
POUR
UN FRÈRE MORT
Les jours ne sont plus ce qu'ils furent
Au coeur meurtri de mon destin:
Quand tu quittas notre aventure,
Un peu de mon jour s'est éteint.
Car nous vécumes des années
A nous côtoyer longuement
Au fil des routes couronnées
D'ombre tragique et de tourment;
Comme si quelque force avait
Entre nos fraternels visages
Interposé des paysages
Pleins de tristesses et d'orages
Que nul rivage ne sauvait. -
Et maintenant tu dors, tranquille,
A la merci du moindre aveu
Qui te rende l'âme fertile,
Loin des misères de la ville,
En le calme éternel de Dieu!
*
Tu ne sauras que dans la mort
Ce que je nourrissais pour toi
De sentiment fidèle et fort
Dont, par le souffle d'un vent froid
Qui rendit triste notre sort,
Le seul silence fut la loi.
*
Ah! ce repas, que je revois,
Comme d'un signe prophétique,
Où nous fûmes, comme autrefois,
- Avant que le destin tragique
Ne nous brise même la voix, -
Sur cette terre, tous les trois,
En une solitude unique,
Unis pour la dernière fois!
*
Purifiés, les mots de ton silence;
Purifiés, tes yeux de paradis;
Purifié, l'éclat de ta présence;
Purifiés, les horizons maudits;
Purifié, du feu de la souffrance,
Le simple aveu du songe que je dis.
*
Descende la lumière toute
Sur ton visage retrouvé;
Il n'est plus d'ombre sur la route
Des jours où nous avons rêvé.
Nous reviennent à la mémoire
Les claires heures d'autrefois;
Il n'est plus vrai que la nuit noire
Ait meurtri nos coeurs et nos voix;
Il n'est plus vrai que tant de fois
Nous eûmes tant de mal à croire
Que notre personnelle histoire
Soumise aux mêmes tendres lois
S'exaltât de même victoire
Quand notre Mère dans sa gloire
Nous mit au jour comme des rois;
Et, d'un père, comme aux abois
Que nous eûmes mêmes effrois
Quand il nous fit venir ensemble
A son chevet pour y pleurer
De ce frémissement qui tremble
Et dans nos âmes demeuré.
*
Il n'est pas vrai que la morsure
Du mal en nous puisse durer:
Je ne retiens de la blessure
Que ce qu'il faut pour adorer
Ce qu'il nous reste en nous d'unique,
Au-delà des mortelles chairs
Et de la division tragique
Qui nous jeta dans les déserts.
Depuis que ton vivant visage
A déserté les horizons
Du périssable paysage
De cette terre où nous vivons,
Et que dans le lointain s'éclaire
Ce qui n'aurait pas dû cesser
De respirer dans la lumière
Des claires heures du passé.
Car s'il est vrai que la souffrance
Ait tant de fois nos coeurs meurtris,
Il n'est pas vrai, dans le silence,
Que tu n'entendes pas mes cris;
Il n'est pas vrai que la nuit noire
Emporte l'âme dans ses flots
Et qu'il ne reste en la mémoire
Que l'être même des sanglots.
*
Je ne veux plus savoir pourquoi
Les tristes jeux de la détresse
On t brisé de leur cercle étroit
De nos coeurs toute la tendresse,
Puisqu'à l'abri du moindre froid,
De nouveau sous la même loi,
Sans craindre rien de toute chose,
Désormais plus ne s'interpose
Aucune irrémédiable cause
Entre ta "survivance" et moi!
A
Jean-François Decelle.
In memoriam.
Les petits enfants du sommeil,
Qui dormez dans vos beaux lits blancs
Et dans vos draps si longs, si blancs,
Qui vous tombent jusqu'aux orteils, -
O petits êtres non sanglants!
Les petits enfants de la Mort,
Qui vous en allez, les pieds nus
Et les mains, comme vous êtes venus, -
O petits anges de la Mort,
Qui regardez par-dessus bord!
Les petits enfants du Bon Dieu,
Plus près de Lui que nous ne sommes,
Qui délaissez les pauvres hommes
Pour le miracle du Bon Dieu, -
Comme si vous faisiez un somme!
Nos petits enfants de la terre;
La semence de nos matins;
La survivance de nos mains;
Nos petits enfants de la terre,
Qui partagiez notre misère,
Ne partez, - tant le coeur nous serre!
O ma Mère, est-ce encore moi
Ce visage d'ombre, et celui
Qui te causa si fol émoi
Quand je surgis enfin de toi,
Du fond d'une insondable nuit?
Mère, ce choc brutal à la fenêtre obscure
Qui me fit l'être et l'âme entière sursauter,
Et cette nuit pour moi d'angoisse la plus dure
Qui tendit le ressort de l'ombre en la clarté,
Je l'ai reçu, comme un dernier appel de ta présence
A mon côté marchant dans le désert du soir.
Et comme un pur témoin de l'ultime souffrance
Qui m'empêche aujourd'hui sans cesse de te voir.
O ma Mère, en allée à l'ombre du printemps!
Ton amour ouvre en moi le lumineux visage
D'un monde qui survit à notre propre image
Et nous change la mort en matins éclatants.
Voici que tu t'en vas hors de ces vastes rives
Où le sang des humains roule son flot dompté,
Et qu'il ne reste plus que larmes les plus vives
Sur ce corps, de mon coeur, par ta mort dévasté.
O Mère, irremplaçable au-delà de la mort,
Toi qui me donnas vie et pure connaissance,
Présence de mon corps avant toute présence
De mon être perdu dans le temps de son sort!
Que t'aura-t-il fallu de veilles et d'efforts
Pour mettre au jour celui qui fut avant de naître
Et qui ne se nourrit, avant de te connaître,
Que de ton précieux, inépuisable corps.
Victime de l'espace où tu fus prisonnière
Et de ce temps maudit qui brisa ton essor,
Tu gîs entre mes bras, fragile et sans ressort,
Et vide enfin du poids des êtres sur la terre.
Voici que tu descends vers ces couches profondes
Où l'univers béant t'engouffre sans te voir,
Et qui mêle les corps, et qui mêles les mondes,
Et qui s'ouvre, pareil à un océan noir...
Mais non, il n'est pas vrai que le néant t'emporte,
Que de ton être enfin par la mort emporté
Il ne restera plus au vent que cendre morte, -
Comme un songe, du ciel des astres, déserté!
Car, par-delà déjà l'espace qui te brise
Et détruit de ton coeur l'incomparable essor,
Par cela qui sans cesse en l'âme s'éternise, -
Ton masque triomphal a dépassé la mort!
A
Tu n'es plus que ce corps dans le désert de marbre
Où va toujours finir sur terre le vivant.-
Mais de ton oeuvre un jour, par ce regard puissant
Qui ne voulut rien voir, sans cesse traversant
L'apparence, en les corps qu'un astre renaissant,
Peut-être surgira d'un coup, comme un grand arbre,
Une immense clarté dans le soleil levant!
A mon Ami, le Poète Roger-Jean Charpentier
Je n'ai pas soulevé la pierre où tu dormais,
Bel Ange, sans surprendre une autre solitude
Ni de mes doigts pliés aux longues habitudes
Sans susciter le rêve aux rives que j'aimais...
Quel songe, au plus secret de ton âme égarée
Par la sérénité trompeuse de son or,
Te retient de survivre en la chaleur dorée
D'un jour qui t'illumine à travers l'ombre encor?
Incroyable dormeur où règnent des merveilles!...
Ah! saurai-je éveiller, dans son antre sacrée,
La déesse, ma soeur la Muse, quand j'irai
D'une insolente main lui tirer les oreilles
Pour lui dire qu'elle bourdonne en plein été
Dans ta cervelle ainsi qu'une abeille en délire
Et t'apporte - au milieu de ton calme enchanté
Sur ta pierre de proue en l'eau de mer - la lyre,
Les arbres, les fruits mûrs, les parfums, le ciel doux,
Le miel et la colombe et la grappe vermeille,
Et plus près de ton coeur, - adorable à genoux ! -
Une larme d'azur ivre parmi les treilles!
(Juin 1950)